Alors qu’Emmanuel Macron vise deux petits réacteurs modulaires (SMR) opérationnels d’ici 2030, un rapport de la CRE souligne à la fois leur potentiel pour la décarbonation et les nombreux freins à lever. Retards industriels, financement incertain, acceptabilité sociale et cadre réglementaire limitant : la filière nucléaire française doit surmonter des obstacles majeurs pour rattraper ses concurrents américains, chinois et russes.
En octobre 2021, Emmanuel Macron avait créé la surprise en présentant un plan de relance du nucléaire incluant les petits réacteurs modulaires (SMR) dans le cadre du plan « France 2030 ». Une stratégie, réaffirmée lors des conseils de politique nucléaire en 2025 mais dont l’objectif fixé par le chef de l’État – voir deux SMR opérationnels en France d’ici 2030 – paraît difficile.
Production de chaleur
La Commission de régulation de l’énergie (CRE) vient de rendre un rapport de prospective lancé au printemps. Co-présidé par Anne-Marie Choho, directrice générale de SETEC, et François Lévêque, professeur d’économie à Mines Paris – PSL, le groupe d’experts a examiné les conditions d’intégration des SMR et des AMR (réacteurs modulaires avancés) dans les systèmes énergétiques. Le rapport confirme le potentiel de ces technologies pour accompagner la décarbonation, mais souligne aussi les nombreux obstacles à lever. Les SMR, basés sur des technologies éprouvées, pourraient atteindre une maturité industrielle dès les années 2030. Leur principal intérêt, dans les pays déjà largement décarbonés, réside dans la production de chaleur pour les réseaux urbains et certains usages industriels inférieurs à 300 °C.
Le rapport insiste sur l’effet de levier économique : à puissance équivalente, un réacteur produit deux à trois fois plus d’énergie sous forme de chaleur que d’électricité, rendant le kilowattheure plus compétitif. Les AMR, eux, ne devraient pas être disponibles avant 2040-2050. Leur intérêt porterait sur des usages plus complexes, notamment la chaleur à haute température, l’hydrogène et certaines applications métallurgiques.
Retard face aux États-Unis, à la Chine et à la Russie
Mais leur développement suppose la mise en place de filières de combustibles spécifiques, comme l’uranium enrichi de type HALEU, encore inexistant en Europe à l’échelle industrielle. La CRE identifie un retard manifeste du continent face aux États-Unis, à la Chine et à la Russie. Aucun pays n’a encore atteint l’effet de série indispensable à la compétitivité économique, faute de financements suffisants. Pour l’Europe, concentrer des moyens publics massifs sur quelques projets jugés prometteurs apparaît comme la seule stratégie réaliste pour rattraper le retard en coûts et en délais. En France, plusieurs freins sont pointés.
D’abord, le cadre réglementaire exclut aujourd’hui les SMR des dispositifs de soutien aux réseaux de chaleur, en raison de la définition restrictive des « réseaux efficaces ». Ensuite, le financement privé se montre réticent à investir dans la construction de prototypes sans partage substantiel du risque par la puissance publique. Enfin, l’acceptabilité sociale reste un enjeu majeur : la proximité potentielle des installations avec les zones habitées, la diversité des porteurs de projets et la question des déchets nucléaires imposent d’anticiper les débats, selon la CRE.
Le rapport formule onze recommandations organisées autour de trois priorités. La première consiste à accélérer l’industrialisation des SMR, par une harmonisation des règles de sûreté au niveau européen, une adaptation de la réglementation française et un soutien financier fort à la construction de prototypes. La deuxième porte sur le développement des AMR les plus matures, en levant les incertitudes sur l’approvisionnement en combustible et en sélectionnant un nombre restreint de projets stratégiques. La troisième insiste sur l’anticipation des enjeux sociétaux : identification des sites, information des collectivités, préparation des compétences et intégration de la gestion des déchets dès la conception.
Constituer une chaîne industrielle robuste
Au-delà des recommandations, le rapport souligne que la crédibilité de la filière repose sur la constitution rapide d’une chaîne industrielle robuste. EDF et ses partenaires – CEA, TechnicAtome et Naval Group – misent sur le projet NUWARD (300 à 400 MW) comme vitrine nationale et internationale. Mais la réussite de ce projet, comme des douze autres actuellement à l’étude en France, dépendra de la capacité à franchir l’étape critique du prototypage. Reste que tout cela nécessite de lourds financements.
Dans un rapport publié mardi, la Cour des comptes observe qu’EDF est « confronté à d’importantes incertitudes sur sa capacité de financement à long terme », alors qu’elle fait face à des besoins d’investissement atteignant 460 milliards d’euros entre 2025 et 2040. Philippe Rioux