Le procès de Cédric Jubillar devant les Assises du Tarn soulève une question douloureuse : comment dire la vérité aux enfants quand un parent disparaît et que l’autre est suspecté ? Une pédopsychologue nous répond.
La Dépêche du Midi : Comment expliquer à un enfant le décès d’un parent, en tenant compte de son âge et de sa compréhension ?
Morgane Bonnet, psychologue pour enfants : Cela dépend du contexte et de l’âge de l’enfant, mais il y a des règles essentielles. Il faut être très clair et utiliser des mots simples et concrets. Dire par exemple “maman est partie en voyage” ou “papa est dans le ciel” peut sembler protecteur sur le moment, mais en réalité c’est contre-productif. L’enfant risque de garder un espoir, de ne pas comprendre, et cela peut générer de l’angoisse. Même si cela paraît dur, il est préférable de dire clairement : “ta maman est morte” ou “ton papa est mort”.
Dans le cadre de l’affaire Jubillar, le corps de Delphine n’a jamais été retrouvé. Quels mots utiliser dans ce cas précis ?
C’est effectivement particulier. Le plus juste est de s’en tenir aux faits : “on pense que ta maman est morte”, même si l’absence de corps rend les choses compliquées. Les enquêteurs et proches de Delphine Jubillar s’accordent à dire qu’il y a très peu de chances qu’elle revienne, et il est préférable de le dire à l’enfant plutôt que de nourrir une attente impossible.
Et dans le cas où l’autre parent est suspecté, comment aborder la question sans briser le lien affectif ?
La nuance est essentielle. Tout dépend si le parent est simplement suspecté ou s’il a été inculpé. L’enfant doit entendre uniquement ce qui est établi. On peut dire par exemple : “la police pense que ton papa pourrait être responsable”, sans aller plus loin. Le lien parental, lui, reste. Même si un parent a commis quelque chose de grave, il demeure un père ou une mère. L’enfant doit pouvoir continuer à distinguer l’acte de la personne.
À lire aussi :
Cédric Jubillar : “Il ne veut plus le voir”… quelles sont les relations avec ses enfants, qui réclament la vérité à leur père ?
Les enfants Jubillar ont dû témoigner, notamment Louis, dans ce dossier tentaculaire. Comment inclure un enfant dans une enquête judiciaire sans lui faire porter trop de responsabilités ?
C’est délicat. Le risque de traumatisme est réel, avec des conséquences possibles sur le sommeil, la scolarité, l’anxiété. L’enfant doit être accompagné par un professionnel spécialisé, préparé aux questions qu’on lui posera, et suivi avant et après l’audition. Selon l’âge, on peut utiliser des jeux, des dessins, des poupées pour l’aider à raconter. On évite au maximum la confrontation directe avec le parent accusé. Évidemment il y a le conflit de loyauté, c’est très difficile j’imagine pour les enfants d’être face aux parents accusés et de devoir dire la vérité ou en tout cas ce qu’on attend d’eux. Dans certains pays, l’enfant ne va jamais au tribunal : son témoignage est enregistré. L’essentiel est de protéger sa sécurité émotionnelle.
Comment peut-on aider un enfant à gérer le conflit entre ses émotions vis-à-vis du parent suspect ?
Expliquer que ce que le père a fait pourrait être grave, mais que cela reste son père et que personne ne pourra lui enlever ce lien. L’enfant a le droit d’aimer ses deux parents. Il doit aussi pouvoir exprimer ses émotions sans culpabiliser. C’est normal d’avoir des sentiments contradictoires. Ce qui compte, c’est de valider ses émotions et de lui rappeler qu’il n’est pas responsable des actes des adultes.