Le second week-end de septembre aura été marqué par deux événements politiques majeurs en Europe : le rassemblement de 150 000 personnes à Londres à l’appel d’une figure de proue de l’extrême droite britannique, et la multiplication par trois du score de l’Alternativ für Deutschland (AfD), formation allemande de droite radicale, au premier tour des élections municipales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Cette percée, à un scrutin local dans une région de l’ouest de l’Allemagne jusqu’ici hostile aux idées véhiculées par l’AfD, rappelle les bouleversements à l’œuvre dans le paysage politique national outre-Rhin, à l’instar de la France et la Grande-Bretagne.
L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir dans ces trois démocraties européennes semble plus imminente que jamais, avec l’immigration comme mot d’ordre commun. L’AfD fait désormais jeu égal dans les sondages avec la CDU/CSU, parti conservateur allemand au pouvoir depuis mai dernier, alors que Reform UK, son pendant outre-Manche, devance de 14 points les travaillistes élus en juillet 2024. Le Rassemblement national, quant à lui, maintient sa position dominante sur l’échiquier politique hexagonal, avec près de 33 % des intentions de vote. La nature des mouvements radicaux nationalistes s’enracine dans l’inlassable nécessité d’un ennemi, imaginé opposant à la nation, qui permet d’employer des réponses simples sur des sujets majeurs, de masquer la vacuité de leur projet de société et son absence de perspectives économiques et sociales. Autrement dit, ces formations politiques produisent, ici par le prisme de l’immigration et d’une invasion fantasmée, une riposte élémentaire permanente, une forme de bureaucratisation du discours et de sa méthode.
Les données réelles contredisent la fantasmagorie d’un déferlement migratoire annoncé. Et pour cause, le solde migratoire net de l’Union européenne se maintient depuis dix ans autour du million, à l’exception de 2022 suite à l’afflux des réfugiés ukrainiens. Cette stabilité s’accompagne d’une chute de 38 % du nombre d’entrées irrégulières dans l’Union européenne en 2024, statistique au plus bas depuis 2021, période aux mouvements de populations limités par la crise sanitaire. La France, elle, ne figure pas parmi les destinations les plus attractives pour les candidats à l’immigration, bien au contraire : elle occupe la dix-septième place en Europe occidentale pour la part d’immigrés dans la population en 2024.
Le rôle bénéfique de l’immigration
Pis, de nombreux travaux démontrent le rôle bénéfique de l’immigration dans nos sociétés vieillissantes confrontées à la vulnérabilité de leurs systèmes sociaux. Des économistes du Fonds monétaire international (FMI) estiment que l’immigration survenue entre 2020 et 2023 se traduira par une hausse de 0,5 % du PIB de l’Union européenne à l’horizon 2030. En d’autres mots, près de la moitié de la croissance attendue à cette échéance proviendrait de l’arrivée d’immigrés, et ce même si leur différence de productivité avec la population locale s’élevait à 20 %.
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A défaut de menace, la venue et l’installation d’étrangers sur le sol national constituent une réponse au déclin démographique amorcé. Son incidence sur le chômage et le salaire des nationaux est aussi bien documentée, et fait l’objet dans l’ensemble d’un consensus académique. Une fois arrivés, les migrants se destinent d’ordinaire à des tâches vacantes et délaissées localement. Pourvoir ces emplois bien souvent utiles participe à la bonne fluidité du marché du travail et à la vitalité d’autres secteurs d’activités, alors susceptibles de connaître une évolution salariale. Plus jeune que la moyenne des actifs, la contribution des migrants à l’économie se traduit mécaniquement par un meilleur équilibre des finances publiques, au bénéfice de l’ensemble des résidents, nationaux et étrangers.
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La capacité des mouvements radicaux à façonner l’imaginaire collectif national envers et contre les immigrés trouve un relais dans les discours et textes législatifs portés par les gouvernements successifs. A défaut de définir les besoins de l’Hexagone et d’organiser les conditions d’accueil des migrants au sein de l’Union européenne, la France a adopté trente-deux lois sur l’immigration depuis 1980, dont quatre depuis 2018, soit plus d’une tous les deux ans. En dépit des statistiques et analyses connues de toutes et tous, nos élus continuent d’entretenir une perception erronée de l’immigration et ses conséquences dans l’opinion publique. Un effet garanti. Les termes de l’accueil des immigrés, une population jeune, devraient être discutés pour élaborer des politiques publiques adaptées au-delà du seul marché du travail, et anticiper l’évolution des besoins des services publics, notamment des infrastructures et des moyens attribués à l’éducation. Ces mesures constituent autant d’éléments à une meilleure intégration de futurs citoyens, qui contribuent amplement aux finances publiques.
◗ Chaque mois, des chercheuses et chercheurs de l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay prennent un pas de recul sur l’actualité pour sortir des débats stériles et des commentaires à l’emporte-pièce.
Cet article est une carte blanche, rédigée par un auteur extérieur
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