Pour aller plus loin
Longtemps, en France, la reconnaissance d’un Etat palestinien a été subordonnée au retour de la paix au Proche-Orient. Nous en sommes loin, hélas, depuis que les massacres commis le 7 octobre 2023 par le Hamas ont relancé la machine infernale de la guerre. Désormais débridée par l’hubris impérialiste de Benyamin Netanyahou et de ses ministres d’extrême droite, la violence tourne à plein régime depuis bientôt deux ans dans la bande de Gaza : déluge de bombes, morts par dizaines de milliers, populations déplacées, famine, tandis qu’une vingtaine d’otages israéliens seraient toujours aux mains de leurs ravisseurs. De quoi donner à de nombreuses institutions internationales des arguments solides pour employer des termes terribles : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide. La terre n’a jamais semblé si étroite à Gaza, pour le dire avec les mots du poète Mahmoud Darwich, ni la paix si cruellement hors d’atteinte pour les habitants des territoires palestiniens comme israéliens.
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C’est pourtant dans ce contexte-là, un contexte d’urgence vitale pour des centaines de milliers de personnes, et peut-être d’urgence existentielle pour tout un peuple, que la France et une dizaine d’autres pays, dont le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, viennent de rejoindre ceux qui, depuis des décennies parfois, considèrent déjà la Palestine comme un Etat.
Le geste est symbolique. Il n’en est pas moins historique. Cette décision juste, digne et courageuse, prise par Emmanuel Macron en invoquant « notre humanité commune » pour « affirmer que le peuple palestinien n’est pas un peuple en trop », s’inscrit dans ce qui a toujours été la position équilibrée de la France. Contrairement à ce que prétend Netanyahou, elle n’a rien à voir avec « une récompense absurde pour le terrorisme » : en accord avec de nombreux pays arabes, elle est assortie d’une condamnation extrêmement claire de « la barbarie du Hamas », de l’exigence de le désarmer et d’un appel à une « mission internationale de stabilisation » dans la bande de Gaza.
La force du droit pèse face au droit du plus fort
En revanche, on peut craindre que cette reconnaissance ne change pas grand-chose sur le terrain. « C’est un signal fort qui sanctuarise la solution à deux Etats, résumait le chercheur David Khalfa dans “le Nouvel Obs” cet été, mais fera-t-elle avancer la cause de la paix ? » Le pire serait qu’elle serve de prétexte pour la faire reculer. Car la détermination de Netanyahou, qui martèle plus que jamais qu’il « n’y aura pas d’Etat palestinien », promet d’avoir des effets désastreux : la surenchère méthodique des destructions à Gaza et la menace d’annexion de la Cisjordanie ont de quoi faire redouter de nouveaux développements dans ce que l’historien Vincent Lemire nomme une « guerre d’éradication ». D’autant que tout cela bénéficie du soutien complice de Donald Trump, qui va finir par mériter un prix Nobel de la guerre à force d’encourager la brutalisation de la planète avec sa diplomatie erratique dominée par des intérêts à courte vue.
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Une chose est sûre, cependant : la fureur du Premier ministre israélien et de son régime, les pressions qu’ils ont exercées de tous côtés, indiquent bien qu’ils sont tout sauf indifférents aux symboles maniés à l’Assemblée générale de l’ONU. Les principes peuvent sembler faibles contre les déluges d’acier, mais « la politique doit pouvoir toujours être contrôlée et critiquée à partir de l’éthique », comme l’écrivait le philosophe Emmanuel Levinas, qui avait justement fait de la reconnaissance de l’Autre le commandement suprême de sa pensée. La force du droit pèse face au droit du plus fort. Et c’est l’intérêt général de faire en sorte qu’elle reste puissante, y compris en adoptant les sanctions nécessaires, si l’on veut enrayer un délitement du monde qui nous menace tous.
Israël le sait, lui qui a fondé son existence sur le droit international. Tout comme il sait que plus de 150 Etats, sur les 193 membres de l’ONU, reconnaîtront désormais la Palestine comme un alter ego, souverain et indépendant, au même titre que son voisin hébreu. « Assez de sang et de larmes, assez ! » avait dit Yitzhak Rabin, deux ans avant d’être assassiné par un compatriote extrémiste, en serrant la main de Yasser Arafat devant la Maison-Blanche. C’était le 13 septembre 1993. C’est toujours d’actualité.