Une page de vie locale se tourne. Rue de la République, la graineterie Au Bon Jardinier baisse son rideau de fer. Laurette Chauderon, 45 ans de conseils, de graines et de visages familiers, s’en va. À 66 ans, elle a décidé avec Bernard, son mari, 72 ans, de prendre leurs retraites. Ensemble, ils referment bien plus qu’une boutique : un lieu de convivialité, de conseil, un théâtre de gestes simples.
À 66 ans, Laurette Chauderon ferme sa boutique. Pas de repreneur, pas de suite. Après 45 ans de présence derrière le comptoir, Au Bon Jardinier rend les clefs. Le 30 septembre 2025, la graineterie historique de Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne) baissera son rideau pour la dernière fois.
Elle reprend la graineterie Falguières a à peine 21 ans
À 19 ans, elle entre pour la première fois. Ce n’est pas encore chez elle, mais déjà, tout l’appelle : l’odeur du bois, la poussière des sacs de semences, le comptoir usé par les gestes. Trois ans plus tard, en 1980, elle en devient la patronne.
Bernard, son mari, n’est pas encore dans la vitrine, mais il n’est jamais bien loin. Figure familière, ancien patron des pompiers, joueur aguerri des années fastes du CAC rugby. Un homme de terrain, comme elle. Ensemble, ils feront du magasin un prolongement d’eux-mêmes : robuste, généreux, ancré.
Elle vient de Caumont. D’une famille rurale enracinée, habituée à faire avec les moyens du bord et la terre sous les ongles. Ensemble, ils diversifient l’offre : semences, fleurs, engrais, fournitures agricoles. On vient pour planter, on reste pour parler. Car ici, le conseil est un art. Bernard connaît les saisons, Laurette les remèdes. À deux, ils écoutent, ils expliquent, ils accompagnent.
Une arche de Noé sous néons
L’établissement bruisse de vie. Dans les vitrines, des callopsittes au plumage vif, des lapins angoras, des carpes japonaises en volutes lentes. Les enfants collent leur nez contre la vitre, les yeux brillants d’envies animales. Parfois, le magasin devient refuge. “Devant la porte, on a retrouvé de tout”, sourit Bernard, mémoire tranquille des anecdotes improbables. Un furet un matin, un perroquet l’après-midi.
Il y avait Coco. Bavard, malicieux, fidèle. Le perroquet de la maison, toujours perché sur l’épaule de Bernard. C’est lui que l’animal suivait comme une ombre colorée. Et c’est lui qui le raconte, la voix ralentie par le souvenir : “Il répétait tout. Puis un jour, il a pris son envol… et il n’est jamais revenu.” Les animaux, parfois, savent s’éclipser sans bruit.
Le matin avait une adresse
On ne venait pas seulement acheter. On venait s’ancrer. Dire bonjour, prendre un café, parler météo et politiques locales. À 7 h 30, la boutique ouvrait ses bras. Dimanche compris. “On n’avait pas peur du labeur”, dit Laurette. Et Bernard acquiesce. Un front penché sur les stocks, mais toujours disponible pour une blague, un bon mot.
Des souvenirs ? Il y en a des caisses, comme lors de la fête de la Saint-Alpinien, où chaque sac de grains acheté donnait droit à un poussin. “C’était la folie, certains venaient de loin”, se souvient-elle. Bernard, lui, se rappelle du bruit. Du passage. Des 130 personnes certains jeudis. De la fatigue joyeuse au soir tombé.
Deux voix, un même engagement
Ensemble, ils militent pour un commerce à taille humaine. Pas de grande enseigne ici. Juste des visages connus, des prénoms échangés. Au sein de l’Association des commerçants de Castelsarrasin, ils s’engagent. Puis viennent les changements : relais-colis, casiers connectés, relais pick-up. Il faut suivre. Et ils suivent.
“Chaque matin, c’était un ballet”, dit-elle. Ils n’ont jamais quitté la rue. Jamais déménagé. Jamais élargi. Mais ils ont accompagné leur époque, au plus juste, sans jamais se renier.
Et puis le silence
Le dos qui tire, les normes qui s’empilent et pas de repreneur en vue. “J’ai fait mon dernier printemps”, souffle Laurette. Et Bernard ? Il reste pudique. Mais l’émotion affleure. Lui aussi a tout donné.
Le 30 septembre 2025, c’est la fin. Les dernières remises, 30 à 50 %, sont comme un adieu doux-amer à la clientèle fidèle. Laurette les remercie. Bernard aussi.
Avec Au Bon Jardinier, Castelsarrasin perd une enseigne, mais surtout un duo. Un binôme. Deux visages qui ont traversé les saisons, le marché du jeudi, les générations. Pendant 45 ans, ils ont tenu la barre. Ensemble.
Leur rideau tombe. Et avec lui, peut-être, un monde. Celui où les vitrines parlaient, les comptoirs écoutaient. Aujourd’hui, les silences font plus de bruit que les voix. Et les volets clos gagnent du terrain sur les vitrines allumées.