September 13, 2025

ENTRETIEN. Carole Delga : "Les socialistes ne sont pas à vendre"

l’essentiel
Trois jours après la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, Carole Delga estime qu’aucune personnalité de gauche ne doit entrer dans le gouvernement. Pour tenter de trouver des compromis avec l’exécutif, la présidente de la région Occitanie réclame une taxation des plus hauts revenus, ainsi que de nouvelles discussions sur la réforme des retraites.

Avec quelques jours de recul, comment jugez-vous la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon ? Qu’attendez-vous de lui ?

Comme beaucoup de Français, j’ai été déçue. Déçue que le vote de juillet 2024 n’ait pas été respecté. La dissolution a déjà été très mal vécue, perçue comme irresponsable. Ne pas tenir compte du résultat, c’est un deuxième affront qui fragilise encore la confiance démocratique. Il promet un changement de méthode. Très bien. Mais il doit venir de lui, et du Président. Emmanuel Macron doit rester dans son rôle présidentiel, d’unité et de stabilité. Sur le terrain, l’exaspération est forte, contre le macronisme et sa personnalité. Oui, il faut changer la méthode et de politique pour recréer la confiance dans le pays.

Croyez-vous à une ouverture réelle de ce Premier ministre ?

Je ne suis pas défaitiste. Avec mes responsabilités, notamment à la tête des Régions de France, je me dois d’être optimiste. Mais Sébastien Lecornu ne durera que s’il mesure l’exaspération et s’il initie un vrai changement. Sinon, il sera balayé.

Quelles sont vos exigences ?

Il ne faut pas se tromper : la politique, ce n’est pas du marchandage. Les socialistes ne sont pas à vendre. Un compromis est possible, mais uniquement sur un projet de société clair. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on nous parle d’économies, d’ajustements budgétaires. Mais ça, ce n’est pas un projet. Un projet, c’est répondre aux problèmes concrets de la France. Il faut faire des économies, mais ciblées. Oui, il faut taxer davantage les hauts patrimoines. Depuis 1996, le patrimoine moyen des 100 plus grandes fortunes a été multiplié par 10, tandis que le salaire net moyen des salariés du privé n’a augmenté que de 13 %. C’est inadmissible. Les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, et parmi eux, beaucoup travaillent. Ça, ce n’est pas une société acceptable. Ceux qui ont été très favorisés par le macronisme doivent contribuer davantage, exceptionnellement, pendant deux ans. Ce n’est pas aux salariés de payer avec, par exemple, la suppression de jours fériés.

Sur la réforme des retraites, que réclamez-vous ?

Nous demandons sa suspension et la reprise d’une vraie concertation avec les partenaires sociaux. La question de la pénibilité n’a pas été prise en compte, c’est inacceptable.

La gauche doit-elle entrer au gouvernement ?

Non, je pense que cela procéderait de l’illisibilité du fait politique. Le Président a nommé un Premier ministre de droite qui composera un gouvernement avec des personnalités de droite. Aucun responsable de gauche n’a vocation à entrer dans ce gouvernement.

Carole Delga s’est exprimée sur la situation de crise politique qui touche le pays.
Carole Delga s’est exprimée sur la situation de crise politique qui touche le pays.
Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Le 10 septembre, le mouvement « Bloquons tout » a mobilisé dans plusieurs villes. Comment l’avez-vous perçu ?

J’en comprends les ressorts : la colère sur les fins de mois difficiles, les Français qui ne partent plus en vacances, qui renoncent à des soins, le poids toujours plus lourd des dépenses contraintes. Ce sentiment d’injustice et d’exaspération, je le partage. Mais je n’ai pas soutenu ce mouvement, parce qu’il n’y avait pas d’identification claire. Pour moi, une mobilisation doit être portée par des organisations identifiées. Sinon, c’est la porte ouverte à des dérives démocratiques. Le 10 septembre, on a vu des images contrastées : des déambulations pacifiques, notamment de la jeunesse, mais aussi des violences avec des incendies ou des sabotages, par exemple sur la ligne Toulouse-Auch. C’est précisément parce que certains voulaient basculer dans la violence que je ne me suis pas associée à ce mouvement. En revanche, je soutiens le mouvement du 18 septembre, parce qu’il est porté par les syndicats. Là, il y a clarté, responsabilité et identification, et c’est indispensable pour être entendus dans une démocratie.

Le Parti socialiste est sorti de son congrès divisé, mais on sent aujourd’hui une parole plus commune. Est-ce le cas ?

Olivier Faure a gagné le congrès d’une courte tête. Mais sur le fond, la ligne politique que nous défendions a largement gagné. C’est celle de Nicolas Mayer-Rossignol et de beaucoup de socialistes. Depuis la chute de François Bayrou, Olivier Faure adopte une attitude plus responsable, plus proche de nos positions. Très bien. Mais j’ai une mémoire, je n’oublie pas les années de désaccords profonds, notamment sur la Nupes. Cela dit, face au danger qui pèse sur la République, je saurai dépasser les rancunes.

Revendiquer Matignon, comme il l’a fait, n’est-ce pas un signe de responsabilité ?

Oui, et j’aurais aimé qu’en 2022 déjà, on tienne cette ligne. Nous avons été nombreux en Occitanie à défendre une gauche républicaine, refusant les alliances électorales avec LFI, refusant le communautarisme, la brutalisation du débat public, les ambiguïtés vis-à-vis de la Russie ou de la Chine. Nous avons été attaqués, mais nous avions raison. Aujourd’hui, certains semblent nous rejoindre. Tant mieux.

Craignez-vous une nouvelle dissolution ?

Non. Je ne la réclame pas non plus. Ce que je demande, c’est le respect du vote de 2024, qui a eu lieu il y a à peine quatorze mois. Mais si dissolution il y avait, je n’ai pas peur des élections. La vraie force politique, ce n’est pas le nombre de députés. C’est la liberté, la fidélité à ses convictions

Toute la gauche non-mélenchoniste se réunit à Bram (Aude) fin septembre à votre initiative. Est-ce une préparation pour 2027 ?

Il faut d’abord un projet. La gauche a souffert de ne plus avoir de récit politique. Avant de parler de primaires, de procédures, il faut construire ce récit. Comment concilier économie et écologie ? Comment concilier agriculture et transition écologique ? Comment concilier social et économie ? C’est cela que nous devons proposer aux Français. Les candidatures viendront ensuite. L’incarnation est importante, mais elle doit servir un projet. Dans un an, ce sera le moment de discuter de la désignation d’un candidat. Pas avant.

À Toulouse, les discussions à gauche sont encore ouvertes en vue des municipales de 2026. Faut-il, selon vous, que le PS mène la liste ?

Je respecte le dialogue en cours entre le représentant du PS et ses partenaires. J’ai moi-même décliné la proposition de mener la campagne et je ne veux pas perturber les discussions. Ce qui compte, c’est que la gauche toulousaine soit unie pour offrir une alternative solide à la majorité actuelle.

Envisagez-vous un troisième mandat à la présidence de la région Occitanie ?

C’est quelque chose que j’envisage sérieusement, si j’ai la santé : 13 départements, 6 millions d’habitants, il faut avoir la santé !

LGV Toulouse-Bordeaux : “Aucune menace”

La LGV Bordeaux-Toulouse suscite encore des débats. Certains parlent d’un projet menacé. Quelle est votre position ?

Il n’y a aucune menace. Les travaux ont commencé, aussi bien au nord de Toulouse qu’au sud de Bordeaux. Dire que le projet pourrait être enterré par une commission, c’est de la science-fiction colportée par ses opposants. La LGV est engagée et doit aller à son terme. Ce chantier est essentiel pour l’avenir de notre région. Il s’agit d’un équipement structurant pour la compétitivité de la France et pour l’attractivité de l’Occitanie. Concrètement, c’est du travail pour nos entreprises du BTP, ce sont des emplois non délocalisables, et c’est un investissement indispensable pour désenclaver le territoire.

La situation politique bloquée ne risque-t-elle pas de ralentir le chantier ?

Mais je suis inquiète de l’immobilisme lié à la dissolution. Depuis qu’elle a eu lieu, la France est à l’arrêt. Cela aggrave notre faible croissance. Il faut relancer l’action, investir dans les services publics et la transition écologique. On ne peut plus se permettre d’attendre.

Les “Rencontres de la Gauche”, organisées depuis cinq ans par Carole Delga, se tiendront samedi 27 septembre à Bram (Aude) : cliquez ici pour vous inscrire.

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