Un ouvrier chinois triant des bouteilles en plastique pour le recyclage dans le village de Dong Xiao Kou, à la périphérie de Pékin, le 17 septembre 2015. FRED DUFOUR / AFP
Dernière chance pour l’adoption d’un traité mondial contre la pollution plastique. Les 175 pays réunis à Genève à partir de ce mardi 5 août ont jusqu’au 14 août pour se mettre d’accord sur un texte visant à éliminer la pollution plastique. Les Nations unies jouent ici les prolongations, non sans difficulté après l’échec des dernières négociations à Busan en décembre 2024, qui devaient initialement clôturer le cycle des discussions.
En effet, à la fin de l’année 2024, l’organisation internationale aurait déjà dû se doter d’un traité mondial contraignant sur le plastique comme le prévoyait la résolution de la cinquième Assemblée des Nations unies pour l’environnement (ANUE-5), adoptée en mars 2022. Un retard imputé aux Etats pétroliers et aux grands producteurs de déchets, fermés aux mesures trop restrictives sur leur production et leur gestion des plastiques. Cet ultime rendez-vous est donc crucial à plusieurs égards.
Sur la pollution plastique, le défi est de taille : chaque année la planète produit et utilise 460 millions de tonnes de plastique – dont moins de 10 % sont recyclés – et ce nombre pourrait tripler d’ici 2060, si rien n’est fait, selon les projections de l’OCDE. Tous les écosystèmes sont concernés par cette pollution, l’océan en premier : chaque minute, l’équivalent d’un camion poubelle de plastiques se déverse dans les mers.
L’enjeu sanitaire comme levier d’action
Un enjeu environnemental mais aussi sanitaire avec les décompositions en micro et nanoplastiques qui s’infiltrent dans les sols, contaminent les eaux, pénètrent dans les organismes et parasitent les organismes animaux et humains. D’après un rapport de la revue médicale « The Lancet », paru lundi, les dépenses de santé liées aux maladies causées par les plastiques s’élèvent à 1 300 milliards d’euros par an. La communauté scientifique alerte sur l’enjeu sanitaire, « un danger grave, croissant » encore « sous-estimé » dans les débats.
Ce dernier pourrait servir de levier d’action pour espérer déverrouiller les négociations à Genève, à condition « que la santé infuse partout dans le texte, qu’elle soit un moteur pour la rédaction du traité et non cantonnée à un seul article, comme ce qui semble se dessiner pour le moment », souligne auprès du « Nouvel Obs » Lisa Pastor, chargée de plaidoyer pour l’ONG Surfrider Foundation.
Réduire la production de plastique à la source
L’ONG milite d’ailleurs avec des organismes de recherche pour que soit ajoutée à l’article 3 du traité une liste de substances chimiques dites « problématiques » à interdire au regard de leur dangerosité avérée ou supposée (entre 12 000 à 16 000 produits contenus dans les plastiques), en accord avec le principe de précaution : perturbateurs endocriniens, PFAS (polluants dits « éternels »), phtalates, bisphénols…
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A chaque étape de leur cycle de vie, entre la production et l’élimination, les plastiques peuvent provoquer des pathologies, qui touchent d’abord les plus précaires. De plus, le plastique en tant que matière pétrosourcée (produits à partir du pétrole) participe aussi au réchauffement global de la planète, avec une contribution aux gaz à effet de serre mondiaux pouvant atteindre jusqu’à 15 % d’ici 2050.
La pollution plastique ne doit donc pas se comprendre qu’en termes de déchets. C’est à cet endroit que Lisa Pastor place l’ambition de Genève : « L’article 6 est le cœur du traité, avec l’introduction d’une cible de réduction de la production mondiale de plastique. On ne veut pas qu’un traité sur le traitement des déchets. Il faut s’attaquer à la source, la production exponentielle de plastique. »
La pression des pays pétroliers
Les premières ébauches du traité prévoyaient à l’origine un encadrement de l’ensemble du cycle de vie des plastiques (production, consommation, recyclage, incinération, etc.). Un objectif progressivement revu à la baisse au fil des négociations, du fait notamment des pressions exercées par des groupes d’intérêts représentant les Etats pétroliers. Depuis Busan deux groupes s’opposent.
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D’un côté, les pays de la coalition de Haute Ambition, qui réunit notamment des pays d’Amérique latine, du Pacifique, de l’Europe dont la France. Regroupant près d’une centaine d’Etats, elle pousse pour réduire la production du plastique à la source, faire respecter le principe de pollueur-payeur ou encore encourager le recyclage et le réemploi.
De l’autre côté, une quinzaine d’Etats, connus comme les « like-minded » (du même avis), réunissant la Russie, l’Inde et de nombreux pays pétroliers, qui refusent la limitation de la quantité de plastique produit. Selon Lisa Pastor de Surfrider, « ces pays bloquants, producteurs de pétrole, voient dans le plastique une manne financière. Ils sont des petits groupes, mais bien organisés. Et avec les changements géopolitiques actuels, la présidence de Trump aux Etats-Unis par exemple, ils peuvent faire pression sur le déroulé des négociations ».
Le vote plutôt que le consensus
Dès lors, plutôt que de suivre la logique du consensus, communément utilisée dans ce type de négociations, plusieurs associations dont Zero Waste France, Surfrider Foundation Europe et Coalition Eau, No Plastic In My Sea, ont, dans un communiqué, invité les Etats à « mettre en place des mécanismes pour éviter les conflits d’intérêts, [à] faire pression pour recourir au vote ». Un vote à la majorité des deux tiers prendrait le risque d’exclure du traité les pays qui font obstruction. Un choix assumé par Surfrider : « A trop vouloir faire des compromis, on va faire l’impasse sur la santé, sur l’environnement, sur les océans », alerte l’ONG.
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La directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l’Evironnement (PNUE) danoise Inger Andersen reste malgré tout optimiste, ayant déclaré à l’AFP qu’il « est très possible de quitter Genève avec un traité ». Un avis partagé avec plus de retenue par Bjorn Beeler, directeur du réseau d’ONG IPEN : « Il est possible qu’un squelette de traité émerge des discussions, même s’il sera probablement sans financement, sans tripes et sans âme. » Le dossier cache toujours un autre angle mort, celui du financement de la réduction de la pollution plastique dans toute sa pluralité. Une dimension non négligeable qui inquiète également l’alliance des petits Etats insulaires.