Le constat est tragique, et il est repris d’un bout à l’autre de l’échiquier politique : l’Union européenne (UE) a capitulé devant les Etats-Unis de Trump. Incapable de nous protéger, [la présidente de la Commission européenne] Ursula von der Leyen s’est couchée sans même livrer bataille. Oui, il fallait mener bataille et il faut encore la mener. Mais laquelle ? Celle du protectionnisme en miroir de celui de Trump ? Ou celle d’un changement profond de notre conception de l’économie et des échanges commerciaux ? Ne pas se tromper sur le chemin à emprunter est la clé pour faire reculer les logiques dévastatrices de marché et l’internationale néofasciste.
En signant l’accord le 27 juillet, l’UE a offert un pont d’or aux Etats-Unis, au détriment et au mépris des peuples européens. Elle n’a pas su valoriser ses atouts face au retour de la prédation impérialiste. Elle n’a pas su imaginer une autre voie que celle du capitalisme débridé. Le résultat est sinistre : les taxes douanières sont multipliées par trois pendant que les engagements d’investissements outre-Atlantique se comptent par centaines de milliards de dollars. Avec une bombe climatique : l’achat de gaz de schiste pour 750 milliards. Et une conséquence attendue en Europe : encore plus d’austérité budgétaire. Même la pensée dominante s’étrangle.
Le Premier ministre a déploré « un jour sombre ». Comme s’il n’était qu’un commentateur. Comme s’il ne pouvait pas faire entendre une autre voix pour la France. En attendant, nous payons l’addition salée, très salée, d’une construction européenne fondée sur la logique de marché et contournant la souveraineté populaire. Cette construction européenne si chère à François Bayrou, Emmanuel Macron et leurs amis. Eux qui ont aussi tant promu l’Otan, et avec elle notre dépendance à l’égard des Etats-Unis en matière de défense, nous rendant aujourd’hui si fébriles dans la négociation.
Ces prétendus défenseurs de l’Europe en sont en réalité les fossoyeurs, et ils sont bien en peine de dégager aujourd’hui la moindre stratégie d’avenir. Ils ne sont que les laquais d’une oligarchie mondialisée qui écrase la puissance publique, marchandise tout, méprise les classes populaires et la démocratie. Et quand l’internationale néofasciste avance avec sa prétendue liberté en bandoulière, qui n’est que celle des marchés et des dominants, nos gouvernants se muent en bisounours imbéciles et dangereux. Ils ne voient pas l’ampleur de la transformation à produire pour y résister.
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Aujourd’hui, les voix ne manquent pas, même parmi celles acquises aux normes néolibérales, pour déplorer le carnage de cet accord totalement asymétrique et plaider en faveur de représailles. Face à un pillard sans foi ni loi comme Trump, aucun doute : il faut tenir tête et gagner en indépendance. L’Europe n’a aucune raison d’être soumise. Elle a des atouts solides face aux Etats-Unis qui sont très dépendants du marché européen. Il aurait suffi d’agir en rehaussant la réglementation et les droits de douane, en taxant notamment les GAFAM, pour produire des effets dans les plus brefs délais. Mais cette attitude défensive élémentaire ne constitue pas un projet politique, ni pour nous-mêmes, ni pour le monde. Se défendre des agressions commerciales extérieures ne dit pas quelle autre modalité d’organisation commerciale, et donc sociale et environnementale, nous voulons.
Oui, il faut tracer un tout autre chemin. La préférence européenne et/ou française face au « Make America Great Again » ? Ou la sortie de la jungle économique et du grand déménagement du monde ? Une chose est de nous protéger, une autre est de s’engouffrer dans le jeu de puissances qui défendent leurs intérêts contre ceux des autres. Répliquer face à la loi du plus fort, oui évidemment. S’engouffrer dans la guerre commerciale et valoriser l’opposition des intérêts des peuples et des travailleurs/euses en fonction de leur appartenance nationale, non. Car ces derniers ont un ennemi commun : l’oligarchie capitaliste qui veut abaisser partout les conditions d’emploi et préfère son consumérisme à notre écosystème et à nos désirs. Et de la guerre commerciale à la guerre tout court, il peut y avoir bien peu de pas.
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C’est pourquoi la mise en concurrence généralisée, à l’intérieur de l’Europe comme à l’échelle mondiale, de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail est une dramatique impasse. C’est pourquoi les traités de libre-échange, qui organisent les délocalisations de productions, avec le dumping social, environnemental et fiscal organisé par les Etats au profit d’une minorité, constituent une plaie béante pour nos sociétés. C’est pourquoi, face au chantage trumpiste, la seule issue est de changer de logique.
Relocaliser, démarchandiser, piloter notre économie avec le bien commun pour boussole, penser les échanges internationaux sur la base de la coopération en respectant les limites de la planète : voilà le sens de ce que nous avons à construire. L’UE a érigé la concurrence libre et non faussée en identité alors que c’est notre tombe. Elle a mis le paquet sur la compétitivité de ses exportations alors que c’est la demande intérieure qu’il faut satisfaire. L’économie de proximité doit être soutenue activement. Elle est la plus vertueuse pour la planète, pourvoyeuse d’emplois non délocalisables et mieux adaptée pour répondre à nos besoins quotidiens fondamentaux. La réindustrialisation et l’investissement dans nos services publics s’inscrivent dans cette perspective, celle qui garantit le rapprochement entre production et consommation, qui crée des emplois utiles et durables, qui permet indépendance et souveraineté.
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Ce chemin est concret. Il suppose d’étendre la sphère non marchande au lieu de la rabougrir et de la maltraiter. De stopper les traités de libre-échange pour bâtir des accords de coopération fondés sur le respect des limites planétaires et la dignité des producteurs/trices de richesses. De taxer les ultrariches et les multinationales plutôt que de les gaver par une fiscalité avantageuse et des aides publiques à foison, et sans contreparties. De partager les ressources et les richesses en créant des biens communs de l’humanité.
S’il est une chose que je ne veux pas importer des Etats-Unis, c’est l’imaginaire protectionniste trumpiste. A l’« America First », résister par un « European First » ou toute autre « préférence nationale », c’est prendre le risque de flirter avec le récit de l’extrême droite et de ne tenir qu’un temps face aux assauts des prédateurs. Prenons garde à ne pas brouiller les repères, les imaginaires, et opposons la cohérence alternative qui prend sa source dans l’esprit public, c’est-à-dire une économie de la mise en commun qui respecte la planète.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.