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Dans la Cité des Anges, des sans-papiers ne sortent plus, paralysés par la peur de croiser la police de l’immigration. Des associations ravitaillent cette population vulnérable.
Depuis plus d’un mois, Alberto vit reclus dans la petite chambre qu’il loue dans l’arrière-cour d’une maison de Los Angeles. Paralysé par la peur de croiser la police de l’immigration, ce sans-papiers ne sort plus, pas même pour faire les courses. Ecoutez son témoignage, recueilli vendredi 25 juillet, dans notre vidéo en tête d’article.
« C’est terrible, souffle ce Salvadorien de 60 ans, aux Etats-Unis depuis quinze ans, s’exprimant sous pseudonyme. C’est un enfermement que je ne souhaite à personne. »
Pour survivre, il compte sur une association qui lui livre de la nourriture deux fois par semaine. Carottes, myrtilles, pain, œufs : les sacs contiennent le nécessaire pour des repas équilibrés.
« Cela m’aide beaucoup, car si je n’ai pas cela […], comment vais-je manger ? », confie cet employé d’une station de lavage automobile, qui refuse d’aller au travail.
Intensification des opérations coup de poing
L’intensification soudaine des opérations coup de poing dans la mégapole californienne début juin l’a surpris. Dans un car wash voisin du sien, certains de ses amis ont été arrêtés par des agents masqués, puis expulsés des Etats-Unis.
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Pour éviter de connaître le même sort, Alberto fuit les sorties. Malgré son prédiabète, il hésite encore à se rendre à son prochain rendez-vous médical. Sa seule bouffée d’air frais, c’est de faire les 100 pas dans l’allée privée devant son habitation. « Je suis très stressé. J’ai mal à la tête, à mon corps, parce que j’étais habitué à travailler », raconte-t-il.
Promise de longue date, l’offensive anti-immigration du président américain a déstabilisé le comté de Los Angeles : les immigrés y représentent un tiers de la population et la région compte des centaines de milliers de sans-papiers, selon certaines estimations.
Face aux raids ciblant les vendeurs de rue, les magasins de bricolage ou les arrêts de bus, beaucoup limitent au maximum leurs déplacements. En juin, la fréquentation du système de transport public, majoritairement utilisé par la communauté latino-américaine, a chuté de 13,5 % par rapport au mois précédent.
« Ville fantôme »
« Quand on conduit dans certains quartiers, on dirait parfois une ville fantôme », témoigne Norma Fajardo, de l’association Clean Carwash Worker Center. Pour aider ceux qui se terrent chez eux, son collectif s’est fédéré avec d’autres organisations afin de livrer à domicile plusieurs centaines de sacs de nourriture chaque semaine.
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En juin, la police de l’immigration (ICE) a arrêté plus de 2 200 personnes dans la région de Los Angeles, selon des documents internes analysés par l’AFP. Environ 60 % d’entre elles n’avaient aucun antécédent judiciaire.
Face aux moyens colossaux récemment alloués par le Congrès à ICE – près de 30 milliards de dollars, qui doivent notamment servir à recruter 10 000 agents supplémentaires –, Norma Fajardo pressent un effroi durable chez les travailleurs immigrés qu’elle épaule. Lancées en urgence, les livraisons de son association vont probablement devoir être pérennisées.
« Paranoïa énorme »
L’aide alimentaire est ainsi devenue essentielle pour Marisol, une Hondurienne de 62 ans qui reste cloîtrée dans son immeuble depuis des semaines avec 12 membres de sa famille. « Nous remercions constamment Dieu, […] parce que cela a été un grand soulagement », lâche cette catholique qui a renoncé à la messe, et s’exprime également sous pseudonyme.
Elle interdit à ses petits-enfants d’ouvrir la porte et se fait un sang d’encre lorsque ses filles s’aventurent dehors pour travailler quelques heures, afin de subvenir aux besoins de la famille.
« Chaque fois qu’elles sortent, je prie Dieu qu’elles reviennent, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, explique-t-elle. C’est une paranoïa énorme. »
Il y a plus de quinze ans, elle avait quitté le Honduras pour fuir un gang qui voulait recruter ses enfants de force. Désormais, certains d’entre eux se demandent si cela vaut la peine de continuer à vivre aux Etats-Unis. « Mes fils m’ont déjà dit : “Maman, parfois, je préférerais aller en Europe.” »