Deux ans après son adoption, la loi Kasbarian-Bergé continue de faire débat. Si elle a renforcé la protection des propriétaires face aux squats et loyers impayés, en facilitant les expulsions et en alourdissant les sanctions, ses effets sur les personnes précaires sont dénoncés par de nombreuses associations.
Deux ans après l’adoption de la controversée loi Kasbarian-Bergé, en juillet 2023, puis sa progressive entrée en vigueur, l’actualité reste émaillée d’histoires de propriétaires désemparés parce qu’ils voient leur logement occupé par des locataires qui ne payent plus leur loyer ou leur résidence, principale ou secondaire, squattée par des personnes, parfois en grande précarité.
Pour mieux répondre à ces situations, la loi Kasbarian-Bergé a introduit de nouvelles dispositions. Parmi les principales mesures adoptées, on peut citer la suppression de la trêve hivernale pour les squatteurs. L’expulsion peut désormais avoir lieu toute l’année, sans surseoir à cause des périodes de froid.
La procédure administrative a été accélérée avec cette loi : le préfet peut ainsi ordonner l’évacuation d’un logement occupé illégalement sous 72 heures maximum, même si le logement n’est pas la résidence principale. Les sanctions pénales ont été aggravées avec jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende pour squat, soit un triplement des peines précédentes. Les signalements sont désormais facilités puisque les voisins ou proches peuvent désormais signaler un squat à la place du propriétaire. Enfin, le champ d’application de la loi a été élargi, celle-ci visant désormais tout local d’habitation, que ce soit une résidence principale, secondaire ou un local vacant.
Durcissement de la loi en faveur des propriétaires
Ce durcissement net de la législation en faveur des propriétaires a eu d’indéniables effets, même si les statistiques restent parcellaires et difficiles compte tenu de la diversité et parfois de la complexité des situations. Les expulsions ont été accélérées avec une durée de récupération d’un bien squatté qui est passée de plusieurs mois, voire années, à quelques jours dans la majorité des cas, ce qui réduit fortement le préjudice pour les propriétaires. La loi a aussi eu un effet dissuasif : la sévérité des peines, l’encadrement juridique renforcé et la visibilité médiatique du sujet ont, d’évidence, agi comme un frein supplémentaire à la prise de risque de (certains) squatteurs.

La loi a également permis de rassurer les propriétaires, en leur redonnant du poids dans la défense de leurs biens, notamment les résidences secondaires ou logements inoccupés. Par ailleurs, les propriétaires victimes peuvent demander réparation pour le préjudice subi et les dégradations parfois très importantes constatées au départ des squatteurs, un point jusque-là rarement efficace.
Une loi très critiquée
Le durcissement de la législation avait été lancé par Guillaume Kasbarian, alors député (Renaissance) d’Eure-et-Loir via un amendement au projet de loi d’accélération et simplification de l’action publique (ASAP) en octobre 2020. Il avait été censuré par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif. Fin 2022, l’amendement est repris dans le projet de loi dit « anti-squatteurs » dont M. Kasbarian est co-rapporteur avec sa collègue Aurore Bergé.
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Le projet de loi essuie alors les critiques de la gauche, des associations de défense des mal-logés, de la Défenseure des droits, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, et même… de l’ONU. Le rapporteur spécial de l’ONU sur le logement convenable, Balakrishnan Rajagopal, et le rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits humains, Olivier De Schutter, avaient adressé au gouvernement français une lettre disant leur crainte que le texte viole les engagements internationaux de la France. Mais la loi a été adoptée et validée par le Conseil constitutionnel.
Derrière les expulsions, la crise du logement
Reste que le texte a eu des effets parfois dramatiques sur des populations déjà fragiles et précarisées, comme le soulignent plusieurs associations. Le 6e rapport de l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels a recensé cette année 1 484 expulsions sur le territoire national (876 expulsions recensées sur le littoral nord et 608 sur les autres départements). « Les données de l’Observatoire montrent que dans 88 % des cas les expulsions ne donnent lieu à aucune solution d’hébergement et/ou de logement des personnes », souligne le rapport, qui s’est intéressé aux lieux de vie informels (bâtiments inoccupés, bidonvilles, campements…).
En ce qui concerne les expulsions de locataires qui ne paieraient plus leurs loyers, la Fondation pour le logement a estimé dans son 30e rapport que « le pire semble devant nous avec la loi du 27 juillet 2023, dite Kasbarian-Bergé, qui réduit les possibilités pour les locataires d’obtenir des délais de paiement, supprime dans certaines conditions les délais pour quitter les lieux et expose même à une amende de 7 500 € ceux qui resteraient à l’issue de la procédure d’expulsion. » La fondation a recensé dans son rapport 19 023 expulsions locatives avec le concours de la force publique en 2023, « un record historique, + 17 % en un an ».
On voit ainsi que derrière le choix de la rapidité d’expulsion et de la protection – légitime – des propriétaires que sous-tend la loi Kasbarian-Bergé, le problème du logement et même du mal-logement est loin d’être réglé en France.