Dans leur atelier-boutique à Lectoure, dans le Gers, Camille et Jean-Marie Neels perpétuent la teinture au pastel, un procédé manuel ancestral qui fait renaître un bleu unique. Ils proposent ainsi plusieurs vêtements teints naturellement. Reportage.
Entre les murs de la petite échoppe du 15 avenue de la Gare, Camille et Jean-Marie Neels ne chôment pas. Les mains plongées dans l’eau sombre d’une cuve qui lui arrive à hauteur de bassin, Jean-Marie enroule un tissu blanc, qu’il plonge et replonge avec une attention minutieuse. “Je garde un œil sur l’heure, pour ne pas rater la teinture”, explique-t-il, concentré. À quelques pas de là, Camille tord des tissus avant de les disposer pour sécher. “C’est créer des motifs uniques”, glisse-t-elle avec un sourire malicieux.

Car ici, au Bleu de Lectoure, la teinture se fait encore entièrement à la main. Fondée en 1994 par Henri et Denise Lambert, la boutique incarne la renaissance du pastel (Isatis tinctoria), aussi appelé pastel des teinturiers ou bleu de guède. Cette plante, jadis très prisée pour ses nuances de bleu si particulières, retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse.
Depuis la reprise de l’atelier par Camille et Jean-Marie Neels, qui cultivent 12 hectares de pastel en agriculture biologique pour produire pigment et graines, l’extraction comme la fabrication du pigment pur restent des gestes manuels. La teinture, 100 % naturelle, permet la conception d’une large gamme de produits : peintures, cosmétiques, vêtements, linge de maison.
Un travail de longue haleine
Travailler ce pigment est cependant tout sauf simple. “J’ai dans les mains un chèche que je plonge dans ma cuve de fermentation, explique Jean-Marie. Vous voyez, il y a un petit film en surface : c’est naturel et c’est la preuve que la cuve fonctionne bien.”

Il poursuit, passionné : “Une cuve de fermentation, ce sont des bactéries, et elles sont essentielles pour obtenir un bleu solide. Comme vous le voyez, la cuve n’est pas bleue, mes mains ne sont pas bleues, le liquide n’est pas bleu. Le pigment, insoluble au départ, devient soluble grâce au travail des bactéries et aux ingrédients ajoutés dès le début : de l’eau, du pigment, du henné, du sirop de datte et un peu de chaux. À partir de là, on peut travailler plusieurs mois en ajustant ce qui manque.”
Au fil des teintures, les bactéries consomment le sirop de datte, et il faut en rajouter. Elles “cassent” alors les molécules. “Le bleu devient soluble, il devient incolore ou légèrement jaune. Avec le henné, on obtient un ton plus soutenu. Ensuite, c’est l’oxydation : le jaune passe au vert, puis au bleu.” Jean-Marie déplie alors le tissu : “Vous voyez ce jaune ? C’est le pigment à l’état soluble. Au premier bain, on est sur du vert, puis ça fonce à chaque passage jusqu’au bleu profond. Là, on va le laisser s’oxyder.”
Le label Eco-défi obtenu
Tandis que le chèche repose, Jean-Marie s’attelle à de nouvelles teintures. Camille, elle, accueille des clients en boutique. “En général, on laisse quelques minutes, car on teint plusieurs pièces. On revient toutes les dix minutes. On ne laisse pas sécher : on reprend, on rince, on remet en cuve. Aujourd’hui, pour ce tissu, ce sera trois bains maximum. On travaille comme les anciens, pour obtenir des couleurs solides, bien accrochées. Si on doit foncer davantage, ce sera pour demain.”

Après la teinture, les étoffes passent entre 6 et 12 heures dans de l’eau vinaigrée pour neutraliser la chaux de la cuve. “Ensuite, on lave. Plusieurs fois. On élimine le bleu qui n’est pas bien accroché. C’est ce qui évite que ça déteigne sur les peaux ou les mains. On sèche, on relave, et seulement quand la couleur ne bouge plus, on sait que c’est bon : c’est le bleu qu’on voulait. Là, on peut le mettre en vente.”
Cela fait bientôt dix ans que Jean-Marie a racheté le Bleu de Lectoure. “Au départ, j’étais paysan. En reprenant l’entreprise, j’ai appris à cultiver le pastel, à en extraire le pigment, puis à teindre les tissus. Nous travaillons uniquement des matières naturelles, animales ou végétales. Nos formateurs, qui se rendent en Afrique ou en Asie, reviennent souvent avec des techniques traditionnelles différentes, parfois plus simples que celles utilisées en France il y a trois ou quatre siècles.”
Aujourd’hui, grâce à leur travail, leur savoir-faire et leurs innovations en matière d’extraction et de teinture écologique, Camille et Jean-Marie Neels ont obtenu pour le Bleu de Lectoure le label Éco-défi, récompensant leur engagement artisanal et leur culture biologique du pastel.

