A Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 1ᵉʳ avril 2025. APAIMAGES/SIPA
« Les journalistes ne meurent pas, ils sont tués. » Comme chaque année, Reporters sans Frontières (RSF) a dévoilé son bilan annuel mardi 9 décembre. Une année à nouveau meurtrière pour la presse, avec 67 journalistes tués dans l’exercice ou en raison de leur métier à travers le monde en un an, dont près de la moitié dans la bande de Gaza.
L’organisation dresse en parallèle le constat d’une presse toujours plus muselée : partout dans le monde, les journalistes sont emprisonnés, pris en otages, disparus ou réprimés pour la simple raison de leur profession. Voici ce qu’il faut retenir de ce rapport.
• Le nombre de journalistes tués en hausse par rapport à 2024
2025 a une nouvelle fois été meurtrière pour la presse. 67 journalistes ont été tués dans l’exercice ou en raison de leur métier à travers le monde en un an, dont près de la moitié dans la bande de Gaza « sous le feu des forces armées israéliennes », accuse Reporters sans Frontières dans son bilan 2025. « Le nombre de journalistes tués (du 1ᵉʳ décembre 2024 au 1ᵉʳ décembre 2025, NDLR), est reparti à la hausse, du fait des pratiques criminelles de forces armées régulières ou non et du crime organisé », déplore l’organisation de défense de la liberté de la presse.
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RSF avait dénombré 49 journalistes tués en 2023, l’un des chiffres les plus bas des vingt dernières années, mais la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza depuis les attaques meurtrières du Hamas le 7 octobre 2023 a nourri une hausse de ce bilan en 2024 (66 tués selon un bilan réactualisé) et 2025 (67).
Reporters sans frontières déplore aussi « l’année la plus meurtrière au Mexique depuis au moins trois ans », avec neuf journalistes tués, « malgré les engagements » pris par la présidente de gauche élue en 2024 Claudia Sheinbaum. Les victimes « couvraient l’actualité locale, dénonçaient le crime organisé ou ses liens avec les politiques et avaient reçu des menaces de mort explicites », explique l’organisation. L’Ukraine figure également parmi les pays au bilan le plus meurtrier avec trois journalistes tués, dont le photoreporter français Antoni Lallican, tué le 3 octobre par une frappe de drone russe, lors d’une attaque ciblée près de Kramatorsk.
« Voilà où mène la haine des journalistes, voilà où mène l’impunité », a dénoncé la directrice éditoriale de RSF, Anne Bocandé, auprès de l’AFP.
• « Les prédateurs de la liberté de la presse »
Au cours de la vingtaine de pages, RSF revient notamment sur les « prédateurs de la liberté de la presse ». Qu’ils aient tué, emprisonné des journalistes, réprimé ou dénigré la presse, ces acteurs « ont particulièrement (…) entravé la liberté de la presse cette année ».
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Dans cette liste, on retrouve sans surprise le dirigeant russe Vladimir Poutine, dont le traitement réservé aux journalistes est délétère. En 25 ans de pouvoir, les journalistes n’ont cessé d’être menacés, emprisonnés voire tués. « En 2025, la Russie connaît sa pire répression de la presse depuis la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), atteignant son plus bas niveau au Classement mondial de la liberté de la presse de RSF (171) », expose le bilan. Pour l’heure, 48 journalistes y sont toujours emprisonnés, dont 26 Ukrainiens.
Autre non-surprise, la présence de Benyamin Netanyahou, Premier ministre israélien. Depuis le 7 octobre 2023, « l’armée israélienne commet un massacre inédit dans l’histoire récente contre la presse palestinienne », indique le rapport. Depuis le 7 octobre 2023, l’armée israélienne a tué près de 220 journalistes à Gaza. Le bilan indique par ailleurs que 65 d’entre eux l’ont été « en raison de leur profession », selon les informations de RSF.
Pourtant censés être protégés comme des civils sur les zones de conflit, l’armée israélienne a été accusée à plusieurs reprises de viser délibérément les journalistes. Une presse injustement accusée de « terroristes » par le gouvernement israélien pour justifier des attaques. Son armée avait notamment assumé à ce titre avoir ciblé un célèbre correspondant d’Al-Jazeera, Anas al-Sharif, tué parmi cinq autres professionnels lors d’une frappe en août. Des accusations sans preuves, avait rétorqué RSF à l’époque.
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L’armée israélienne a d’ailleurs fait l’objet de plaintes pour crimes de guerre à ce sujet. De quoi la considérer comme « le pire ennemi des journalistes » pour RSF. Israël, lui, se défend en répondant qu’il frappait le mouvement islamiste Hamas, considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis et l’Union européenne. « Il ne s’agit pas de balles perdues. C’est véritablement du ciblage de journalistes parce qu’ils informent le monde ce qui se passe sur ces terrains-là », explique Anne Bocandé.
· La presse victime de multiples répressions
En parallèle de ces décès, les journalistes sont étouffés de toutes parts. Au 1ᵉʳ décembre, 503 journalistes restent détenus dans le monde, dont 121 en Chine, « la plus grande prison de journalistes du monde ». Elle est suivie par la Russie, qui emprisonne 48 professionnels de la presse puis par la Birmanie, avec 47 journalistes détenus.
Christophe Gleizes, journaliste sportif emprisonné en Algérie, est le seul journaliste français détenu dans le monde. Sa condamnation à sept ans de prison ferme a été confirmée en appel le 3 décembre, au motif d’« apologie du terrorisme » et « possession de publication dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national ». RSF rappelle que ces accusations sont basées sur un dossier vide, et appelle avec la famille du journaliste à sa libération immédiate.
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L’organisation dénombre aussi 135 journalistes disparus, dont certains depuis plus de 30 ans, majoritairement en Syrie (37 journalistes portés disparus) et au Mexique (28).
Une vingtaine de journalistes sont également toujours retenus en otage à travers le monde, principalement au Yémen, où les rebelles houthis détiennent neuf journalistes, dont sept enlevés seulement pour l’année 2025. Huit d’entre eux le sont également encore en Syrie, capturés entre 2012 et 2018 par des groupes djihadistes.
Le bilan fait également état de la répression des journalistes couvrant les manifestations, du Népal à la France. En Serbie, depuis les premières manifestations anticorruption en novembre 2024 déclenchées par l’effondrement d’auvent d’une gare faisant 15 morts, 98 agressions physiques envers des journalistes ont été recensées par RSF. Dont 91 cas uniquement depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, majoritairement commises par les forces de l’ordre.
· Des libérations « emblématiques »
Malgré le constat d’une presse de plus en plus muselée, Reporters sans Frontières met en avant dans son bilan les libérations marquantes de journalistes cette année. Parmi elles, celles de neuf journalistes biélorusses, enfermés pour avoir seulement exercé leur métier et libérés le 11 septembre.
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Le journaliste ukrainien Dmytro Khyliuk, enlevé par les forces russes en mars 2022, a lui aussi été libéré le 24 août. Un emprisonnement de trois ans au cours duquel il a été privé de nourriture, battu et victime d’humiliations. Sept journalistes enrôlés de force dans l’armée burkinabée ont également pu retrouver leur famille. De son côté, l’Egypte a libéré le blogueur britannico-égyptien Alaa Abdel Fattah, gracié au terme d’une décennie d’emprisonnement, restant l’une des plus grandes prisons pour les journalistes au monde, avec 20 journalistes encore emprisonnés.

