Volodymyr Zelensky, le 15 juillet dans son bureau à Kiev. APAIMAGES/SIPA
Il était l’éminence grise de la scène politique ukrainienne, au point d’être surnommé le « vice-président ». Depuis 2020, Andriy Yermak était le directeur de cabinet mais aussi le deuxième cerveau et l’ombre de Volodymyr Zelensky. Il était celui qui, à l’automne 2024, avait brutalement resserré le pouvoir autour d’un petit cercle de fidèles, manœuvrant pour évincer plusieurs personnalités trop visibles. Le 23 novembre, sa silhouette de colosse était encore en première ligne à Genève, pour présider les négociations visant à tordre le plan de paix de Donald Trump en faveur de l’Ukraine. Mais, rattrapé par le scandale de corruption géant qui frappe le secteur énergétique ukrainien, Yermak a été brutalement débarqué vendredi 28 novembre, poussé à la démission après une perquisition à son domicile, sans être formellement accusé dans l’affaire. L’enquête avait déjà mené début novembre à la destitution de deux ministres et plusieurs arrestations.
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Au pire moment face à Trump
Volodymyr Zelensky ne perd pas seulement un proche, mais aussi son paratonnerre. Impopulaire, Yermak attirait à lui toutes les critiques contre les décisions de la présidence. La mise à l’écart de cet ancien avocat spécialisé dans les droits audiovisuels, que Zelensky avait rencontré alors qu’il était encore acteur et producteur, satisfera en revanche la Maison-Blanche, qui l’appelait de ses vœux. Les émissaires américains étaient exaspérés par ce conseiller intransigeant en treillis qui avait le mauvais goût de ne pas parler couramment anglais, et de refuser tout retrait de l’armée ukrainienne.
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Selon le plan de paix de Donald Trump, Kiev doit en effet retirer ses forces de toute la région de Donetsk, une option qu’Andriy Yermak rejetait encore catégoriquement jeudi. Les négociateurs ukrainiens arrivés en Floride ce dimanche 30 novembre, menés par le secrétaire du conseil de la sécurité nationale de défense et de sécurité (NSDC), Roustem Oumierov, seront soumis à rude épreuve : les émissaires américains Steve Witkoff et Jared Kushner veulent régler tous les différends territoriaux pour aller soumettre en personne une proposition finale à Vladimir Poutine, mardi à Moscou.
Andriy Yermak, en août 2024 à Kiev. (SERGEI CHUZAVKOV / AFP) SERGEI CHUZAVKOV / AFP
Le départ de Yermak et l’explosion de l’affaire de corruption Energoatom arrivent donc au plus mauvais moment pour Kiev. Après « quinze mois d’enquête » et « 1 000 heures d’écoute » sur fond de tensions avec la présidence, le Bureau national anticorruption d’Ukraine (NABU), dont Volodymyr Zelensky avait tenté de supprimer l’indépendance cet été, accuse plusieurs proches de la présidence d’avoir monté un vaste système criminel au sein de l’entreprise publique du nucléaire, Energoatom, détournant environ 100 millions de dollars. Huit personnes ont déjà été inculpées. La plupart d’entre elles sont des connaissances personnelles de Volodymyr Zelensky, comme l’organisateur présumé Timour Minditch, et avaient été nommées directement par Andriy Yermak. Selon un député d’opposition, Andriy Yermak serait indirectement mentionné sur des enregistrements de conversations entre suspects comme ordonnant des pressions sur les structures anticorruption. C’est lui qui serait cité sous le pseudonyme « Ali Baba » – initiales AB, comme celles de son prénom et de son patronyme, Andriy Borysovytch.
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« Vous ne pouvez pas gagner une guerre avec ce niveau de corruption », a réagi sur X la représentante républicaine de l’Indiana Victoria Spartz, seule élue d’origine ukrainienne du Congrès américain. « Malheureusement pour le peuple ukrainien, cette situation a duré trop longtemps. »
Au pire moment pour ses alliés d’Europe
Pour ses relations avec l’Union européenne, qui tente tant bien que mal de réunir de l’argent pour lui permettre de continuer le combat et de se reconstruire, la crise politique qui frappe l’Ukraine ne saurait également tomber plus mal. Le Premier ministre polonais Donald Tusk évoque une « combinaison fatale » au moment où les Vingt-sept débattent sur l’utilisation des avoirs russes gelés, qui pourrait mener à un prêt de 140 milliards d’euros en faveur de l’Ukraine. « Ce scandale doit être élucidé sans réserves, et le chancelier [Friedrich Merz] l’a clairement fait comprendre au président Zelensky », indique le ministre allemand des Affaires étrangères Johann Wadephul. « Mais ce n’est pas parce qu’il y a des accusations de corruption que nous pouvons, et allons, relâcher notre soutien à l’Ukraine ».
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« Nous savons tous que la corruption en Ukraine a été un problème de longue date, et qu’elle l’est toujours », renchérit son homologue néerlandais David Van Weel. « La seule bonne nouvelle ici est que les agences anticorruption n’ont pas hésité à s’en prendre à des personnes de pouvoir. J’attends du président Zelensky qu’il agisse fermement. » Même ton du côté de la Commission européenne qui tentait de voir le verre à moitié plein vendredi soir, soulignant que l’enquête en cours « démontre que les organismes de lutte contre la corruption sont en place en Ukraine et autorisés à fonctionner ». « C’est un sujet de vigilance qui traverse toutes les discussions sur le soutien financier à l’Ukraine, sans jamais être exprimé de façon très claire », glisse un diplomate. « Il est évident qu’il faut sécuriser les fonds très conséquents qui peuvent être débloqués, surtout s’agissant des montages financiers actuellement à l’étude. »
D’autres sont moins conciliants. Le ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjártó opte, lui, pour un registre radicalement opposé, qualifiant Kiev de « mafia de guerre » et de « système étatique corrompu » : « On pourrait penser que dans une situation normale, les paiements seraient immédiatement suspendus et qu’un audit financier serait exigé. Cela en dit long sur l’état de la démocratie à Bruxelles. » Dénonçant une « psychose guerrière », il appelle l’UE à soutenir les efforts de paix américains, « immédiatement et sans conditions ».
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Au pire moment sur le front
Sur le plan militaire enfin, cette crise arrive à un moment extrêmement délicat. L’armée russe pousse pour arracher un avantage décisif dans les régions de Kharkiv, où elle a récemment pris le contrôle de Koupiansk, et de Donetsk, où elle menace plus que jamais le nœud logistique de Pokrovsk. A quelques mois du quatrième anniversaire d’un conflit qui approche la durée de la Première guerre mondiale, l’armée ukrainienne est elle confrontée à de graves problèmes d’effectifs et d’abandons de poste, et les efforts de mobilisation déployés par les autorités n’ont pas permis de régler le problème.
Selon l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW), les forces russes ont conquis en moyenne 467 km² par mois cette année, une accélération par rapport à 2024. Le long de la ligne de front, les troupes de Moscou combattent actuellement pour le contrôle de quatre verrous clés : Lyman, Siversk, Kostiantynivka et Pokrovsk. Autant de positions dont la perte affecterait significativement les défenses et la logistique ukrainiennes, avant les dernières grandes villes de la région : Sloviansk et Kramatorsk. Car derrière cette « ceinture de forteresses », les défenses ukrainiennes sont beaucoup plus éparses. « La situation ne fait qu’empirer. […] Je ne me souviens pas avoir vu l’ennemi avancer à une telle vitesse depuis longtemps », avertit sur Telegram Maksym Jorine, un officier du 3ᵉ corps d’armée ukrainien. « La question n’est plus la perte de certaines localités, mais l’amélioration significative de la situation opérationnelle de l’ennemi sur l’ensemble des fronts ».
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Des drones russes ont encore frappé Kiev et sa région dans les nuits de samedi et dimanche, faisant au moins deux morts et une vingtaine de blessés, ainsi que d’importants dégâts matériels et 600 000 coupures d’électricité. Volodymyr Zelensky a appelé les Ukrainiens à « ne pas perdre leur unité ». « Zelensky a toute la légitimité pour conduire l’Ukraine vers la paix », martèle le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, dans un entretien à « la Tribune » ce dimanche. Le président ukrainien sera reçu à l’Elysée lundi par Emmanuel Macron pour parler du processus de paix. Comme une marque de soutien dans la tempête.
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