SÉRIE 1/7. Le Concorde, symbole de prestige et d’innovation, a été un moyen de transport prisé par plusieurs présidents français. Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand l’ont utilisé à de nombreuses reprises. Chirac a mis fin à cette tradition en 1995.
Fleuron de l’industrie aéronautique franco-britannique, le Concorde a été très utilisé par les présidents français, de Georges Pompidou jusqu’à Jacques Chirac. Et pour cause… Avec son fuselage étroit et son nez acéré, l’avion de ligne aux allures d’avion de chasse XXL était un symbole de prestige et d’innovation technologique. Et, au-delà de considérations purement esthétiques, le Concorde était rapide, très rapide. Avec ses quatre puissants turboréacteurs, il pouvait voler à plus de Mach 2, plus de 2 100 km/h. Prendre le supersonique était donc le moyen de transport idéal pour des présidents pressés désireux d’optimiser un agenda souvent bien rempli.

En bon VRP, Georges Pompidou a été le premier président à utiliser le supersonique, dans sa version d’essai. Une façon de promouvoir l’appareil avant même son entrée en service commercial. Le 13 décembre 1971, dans le cadre d’un déplacement aux Açores pour le bicentenaire des États-Unis, il n’a d’ailleurs pas hésité à jouer les guides pour Richard Nixon. Le Président américain qui était arrivé à bord d’un Boeing 707 a en effet souhaité monter à bord.

Trois Concorde réquisitionnés pour chaque déplacement officiel
Les successeurs de Pompidou ont, eux, pu voler sur des Concorde de série. Alors bien sûr, il n’y avait pas de Concorde présidentiel à proprement parler. Aucun exemplaire du supersonique n’a jamais été dédié spécifiquement aux déplacements d’un président en exercice, comme l’est aujourd’hui l’A330 de la présidence de la République. Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, et Jacques Chirac dans une moindre mesure, utilisaient donc l’un des sept exemplaires d’Air France. Pour la petite histoire, à chacun de leur déplacement, trois Concorde, au moins, étaient en réalité réquisitionnés. L’un servait à transporter le président et deux appareils, dits “de réserve”, se tenaient prêts à décoller dans l’éventualité où le premier rencontrerait un problème technique.

L’expert aéronautique Michel Polacco se souvient que cela est arrivé une fois, à François Mitterrand, en septembre 1985. “Il devait aller visiter la base d’essais nucléaires de Mururoa dans le Pacifique en passant par Cayenne pour assister à un tir d’Ariane. Mais au moment de décoller de Paris, une alarme a signalé un problème sur les freins du train d’atterrissage. Mitterrand a donc dû utiliser l’un des Concorde de réserve.”

Entre 1976 et 1981, Valéry Giscard d’Estaing a utilisé le Concorde d’Air France pour plusieurs voyages officiels : États-Unis, Téhéran, La Réunion, Abidjan, Dakar, Brasilia, Rio, Tokyo… Il a aussi emprunté le premier exemplaire d’essai conforme à la version de série pour se rendre à Riyadh en Arabie Saoudite. L’appareil, qui ne comptait qu’une trentaine de sièges et de l’instrumentation d’essai, est aujourd’hui exposé au musée Aeroscopia et classé Monument historique.

Le “jouet personnel” de Mitterrand
À partir de 1983, François Mitterrand a, lui aussi, volé très régulièrement en Concorde. Bien plus que son prédécesseur. Au cours de ses deux septennats, il l’a utilisé pour quasiment tous ses déplacements officiels : sommet du G7 aux États-Unis, visite officielle en Indonésie, voyages en Afrique… De Djibouti à Lima, de Dakar à Bogota, il réalisait près de 600 heures de vol en moyenne par an à bord du supersonique. Une utilisation jugée excessive pour beaucoup. “Le Concorde était devenu son jouet personnel”, résume Guy Cervelle, ancien responsable des vols spéciaux chez Air France.
Mais lorsque Jacques Chirac a été élu, les vols présidentiels ont cessé, car il en avait fait une promesse de campagne. “En 1995, Air France a donc mis en place une cellule commerciale pour vendre ces 600 heures de vol. C’est là qu’on a enchaîné les tours du monde, des opérations promotionnelles avec Pepsi et d’autres. On gagnait beaucoup plus d’argent avec ces vols spéciaux car on commercialisait l’heure de vol à un prix très élevé… Cela permettait de combler le déficit de la ligne régulière”, résume-t-il.

Jacques Chirac a, en revanche, utilisé le Concorde à plusieurs reprises lorsqu’il était Premier ministre. L’un de ses déplacements les plus marquants reste sans doute celui de 1987 lorsqu’il s’est rendu à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Une photo de lui en train de se reposer à bord du supersonique, masque de nuit sur les yeux et chaussons aux pieds, a fait le tour du monde. Pour ce vol spécial, décidé à la dernière minute, la cabine du Concorde n’avait pas reçu d’aménagement spécifique, faute de temps. C’est l’exception qui confirme la règle.
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L’aménagement présidentiel du Concorde
Car lors de leurs voyages présidentiels long-courriers, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, disposaient en effet d’un Concorde d’Air France équipé du “kit présidentiel”. Les photos étant extrêmement rares, nous avons pu nous procurer des documents officiels d’Air France permettant de visualiser cet aménagement spécifique. Au lieu des 100 places en configuration commerciale classique, l’appareil ne pouvait accueillir que 56 passagers.

Toutes les rangées de sièges à l’avant de l’appareil étaient en effet retirées. À la place, trois espaces distincts étaient installés. Le premier comprenait trois fauteuils et une table avec quatre sièges pour prendre les repas. La deuxième zone cloisonnée était équipée d’un grand fauteuil pour le président, d’un bureau et de deux sièges pour pouvoir travailler avec ses collaborateurs. Dans ses deux zones, un grand vestiaire occupait la partie gauche de la cabine. Le troisième espace disposait, lui, de deux lits, de part et d’autre de l’allée, pour se reposer.

Et signes de l’époque, l’avion était pourvu d’une photocopieuse et d’un fax à l’arrière. “À chaque fois, un seul des trois Concorde était aménagé en version présidentielle et il fallait au moins deux jours pour transformer la cabine”, se souvient Guy Cervelle.
Au total, quelque 234 vols présidentiels ont été effectués en Concorde entre 1971 et 1995.

