Le 4 novembre, Zohran Mamdani était élu maire de New York. Jeune, musulman, adhérent du parti Democratic Socialists of America, et critique affirmé de la politique israélienne, le nouvel édile détonne dans le paysage politique étasunien. Son profil a d’ailleurs mené les cadres traditionnels du parti démocrate à le bouder jusqu’à une date assez avancée tandis que la galaxie MAGA (de « Make America Great Again) – Donald Trump en tête – l’accusait de soutien au terrorisme et d’antisémitisme.
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En France, l’élection de Zohran Mamdani a donné lieu à deux mouvements, à gauche et à droite. A gauche, faisant d’ailleurs souvent fi de la série de victoires démocrates particulièrement bienvenues en contrepoint de l’offensive trumpiste, les leaders politiques ont salué bruyamment l’élection du New Yorkais. Le succès est, en effet, particulièrement emblématique puisque obtenue dans la plus grande ville américaine, et non dans un Etat fédéré que l’on aurait grand-peine à placer sur une carte.
Certains, à l’image des responsables de La France insoumise, disent voir dans cette victoire la validation du bien-fondé d’une posture radicale dans la critique d’Israël mais également sur le plan social – ce qu’incarne Zohran Mamdani dans le contexte américain mais pas vraiment à l’aune de la politique française. D’autres, au Parti socialiste ou chez les Ecologistes, semblent y avoir vu l’occasion de saluer l’élection d’un jeune musulman se revendiquant socialiste et attaché aux droits des minorités. On ne peut ici s’empêcher de penser que ces tapageuses félicitations visent peut-être à faire oublier leur propre incapacité à ouvrir l’accès aux responsabilités politiques de premier plan à des personnes de culture musulmane ou originaires du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne.
A droite, à l’extrême droite, mais également dans certaines fractions se réclamant d’une gauche orpheline d’incarnation républicaine, le traitement de la victoire de Zohran Mamdani s’est abimé dans le racisme. Cette attitude révèle non pas tant qui est le nouveau maire, mais bien plus la posture intellectuelle de ses critiques les plus virulents, pour ne pas dire les plus hallucinés.
Des accusations qui masquent mal la grande peur
Précisons d’emblée que Zohran Mamdani peut très bien être critiqué, son programme disséqué et sa stratégie interrogée. Aura-t-il la capacité de financer ses promesses électorales ? Suit-il une stratégie opportuniste en jouant sur les émotionnels du moment ? Est-il financé par des réseaux fréristes, dont il risque d’être l’obligé ? A-t-il ou a-t-il eu un tropisme anti-israélien confinant à une interrogeante obsession ? Aucune de ces questions ne doit, a priori, être écartée de l’analyse du moment Mamdani. Mais il est des accusations qui, bien que prétendant s’appuyer sur quelques-unes des questions susmentionnées, masquent mal la grande peur – sinon la grande haine – que le New-Yorkais a pu susciter ces derniers jours dans notre pays, de façon histrionique à l’extrême droite politique – le Rassemblement national et Reconquête! – et à ses habituels relais médiatiques tels que les médias de la bollosphère.
L’exemple le plus emblématique de cette vague anti-Mamdani a été une publication postée par Céline Pina. Après avoir été privée d’une nouvelle investiture, cette ancienne élue socialiste s’est convertie illico presto en spécialiste de l’islamisme. Un titre qui a l’immense intérêt, à la condition d’être utilisé par son porteur pour dégoiser sur les musulmans, de se trouver immédiatement nimbé d’une certaine crédibilité. Passée avec aisance de la gauche à l’extrême droite, Céline Pina a donc été l’auteure d’un montage mettant en parallèle les tours jumelles en feu le 11 septembre 2001 et la photo de Zohran Mamdani. Le tout sous un commentaire selon lequel « New York s’est donnée à un islamiste ». La première image était titrée « 2001 – Never forget » (2001, ne jamais oublier) et la seconde « 2025 – We forgot » (2025, nous avons oublié). Ainsi, l’élection démocratique d’un jeune musulman – puisque là est le fondement de cette comparaison – est-elle mise en équivalence avec l’attentat le plus meurtrier que la ville de New York ait connu.
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La publication est particulièrement odieuse. Mais elle s’inscrit dans une certaine musique consistant à se concentrer sur les liens supposés de Zohran Mamdani avec les Frères musulmans, et à considérer que ses propos critiques envers Israël seraient la marque d’un antisémitisme camouflé. Je ne reviendrai pas ici sur les articles qui ont largement invalidé l’existence de liens entre le nouvel élu et les Frères musulmans, liens allégués sur le fondement de dérangeantes approximations. Je ne reviendrai pas non plus sur les accusations d’antisémitisme. Ces dernières ont consisté à passer sous silence les déclarations constantes de Zohran Mamdani contre l’antisémitisme, le soutien qu’il a reçu du sénateur Bernie Sanders ou le fait que plus d’un tiers des Juifs new-yorkais lui auraient accordé leur suffrage – un pourcentage qui montrerait cependant une défiance de nombreux Juifs à l’endroit du candidat-élu, notamment parmi les plus orthodoxes et les plus âgés.
Camouflés sous une morale de l’émancipation
En revanche, je développerai quelques réalités peu analysées. Tout d’abord, Zohran Mamdani se trouve réduit à quelques traits, notamment son positionnement critique envers Israël, comme si cela constituait le socle de sa campagne et le cœur de sa personnalité. Or, il est utile de rappeler que son succès découle notamment de sa capacité à avoir posé une parole sur la problématique de la vie chère et de la justice sociale. En réalité, le trentenaire est réduit à des traits qui le renvoient à sa seule qualité de musulman, dont on infère un intérêt problématique pour la cause palestinienne.
Cette approche, qui pose souvent de façon plus ou moins assumée un continuum entre l’Islam et l’islamisme, relève d’une dynamique qui n’est pas sans rapport avec une approche raciste. La religion joue ici le même rôle que jouait, hier, la race. Tout comme le noir ou l’Arabe ne pouvait échapper à ses gènes, le musulman ne semble pas pouvoir échapper à un Islam ravalé au rang singulier de religion vitrifiée en idéologie destructrice. A cet égard, la publication outrancière de Céline Pina a l’« avantage » de révéler sans fard la vision de l’autre comme d’un barbare affairé à détruire le monde des civilisés. Dans cette matrice de pensée, un musulman est soit un islamiste démasqué, soit un islamiste à démasquer.
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Mais les critiques de Zohran Mamdani interrogent également la morale de celles et ceux qui les assènent. Sans même parler de la morale d’extrême droite sur laquelle on ne s’étendra pas, il est singulier de constater que le visuel de Céline Pina a rencontré un succès, qui est allé bien au-delà de l’extrême droite. Il s’est ainsi trouvé partagé par Tristane Banon, journaliste à Franc-Tireur. Devant l’émotion d’une telle publication, cette dernière a annulé ce partage mais a affirmé ne rien céder sur le fond. Son confrère Raphaël Enthoven a, par ailleurs, saluer ce geste qui se situe pourtant assez loin des actes de Jean Moulin.
De façon plus générale, il sera noté que les obsessions de maints détracteurs du nouveau maire, se réclamant de la droite républicaine voire de la gauche, se camouflent sous ce qui se présente comme une morale de l’émancipation. Mais cette dernière s’abstient concrètement de toute solidarité avec les « ébranlés » – qu’il s’agisse des victimes de racisme ici ou des opprimés ailleurs – à l’exception de solidarités qui permettent d’exprimer une critique des critiques de l’Occident. Ainsi, les femmes iraniennes seront soutenues – et elles méritent de l’être puisqu’elles sont victimes du régime théocratique et patriarcal des mollahs, dont on ne peut qu’espérer la chute. Mais les Palestiniens ne le seront guère, leur supplice étant alors fréquemment, lorsqu’il est reconnu, attribué au Hamas dans une perspective de dédouanement des actions de Benyamin Netanyahou. Les tenants de cette position voient pourtant très bien ce que peut avoir de problématique l’analyse de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 comme relevant de la responsabilité du Premier ministre israélien pour dédouaner des meurtres de civils commis par le Hamas.
Une prise de parole des subalternes insupportable
Comment expliquer cette réduction agressive de Zohran Mamdani à sa qualité de musulman aux fins de disqualification ? Comment expliquer cette morale fluctuante qui permet constamment de frapper les « ébranlés », ou leurs soutiens nécessairement « complices », ou « idiots utiles » des noirs desseins que nourriraient lesdits ébranlés ? Peut-être en allant du côté de l’Inde dont sont originaires les parents de Zohran Mamdani.
En 1985, la philosophe indienne Gayatri Chakravorty Spivak publiait : « les Subalternes peuvent-elles parler ? », un classique centré sur l’impossibilité pour les femmes indiennes de voir leur parole entendue. Les réactions à l’élection municipale de New York sont peut-être à chercher dans cette vérité. Dans un monde où les différents surplombs – colonial, sexiste, civilisationnel, etc. – se fissurent chaque jour un peu plus, la prise de parole des subalternes devient de plus en plus insupportable. Ces derniers ne se murent plus dans le silence, n’acceptent plus que leurs intérêts ou leur parole soient prétendument portés par celles et ceux qui en seraient – précisément au nom de leur surplomb – les grands interprètes.
Que cela soit conscientisé ou non, la victoire de Zohran Mamdani est vécue par ses critiques obsessionnels ou hallucinés comme l’indice d’un grand réagencement du monde. C’est vrai. Et il faudra bien s’y habituer, sauf à sortir d’un rapport démocratique, qui vise sans cesse à donner une place et une voix aux groupes qui en étaient privés par le droit, la force, la violence symbolique ou les morales hypocrites.
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Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

