Des passagers prennent place à l’arrière d’une camionnette bondée à Bamako le 8 novembre 2025. – / AFP
Au bord des routes désertiques du nord du Mali, les convois de soldats français sont applaudis par les habitants des villages les plus reculés. Des « Bravo la France ! » sont clamés. Des drapeaux bleu-blanc-rouge sont agités. François Hollande qui effectue alors une visite – « Le plus beau jour de ma vie politique », dira-t-il – est fêté en héros. La France vient de libérer Tombouctou, Gao et Kidal, soumises à la charia et à la terreur par les djihadistes. Elle a stoppé une « colonne » de ces extrémistes qui, à en croire les dirigeants de l’époque, fonçait vers Bamako. C’était en 2013. Une éternité.
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A l’époque, la menace, qui justifia l’intervention militaire française – une opération qui durera près de dix ans- d’une offensive sur la capitale malienne avait été surestimée. Selon les acteurs politiques que nous avions interrogés, les djihadistes n’étaient pas en mesure de conquérir les principales villes du sud du pays, un trop gros morceau, et se contentaient de s’implanter dans le Nord plus désertique.
Les troupes françaises ont quitté le Mali en 2022. Aujourd’hui, les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) affilié à Al-Qaida, créé en 2017, le plus présent et le plus ancré dans les zones périphériques et rurales, ont imposé un blocus sur Bamako et la menace planante d’une prise de contrôle de la capitale est sans précédent.
Asphyxie
Le JNIM a, en quelques années, réussi à recruter chez les Peuls, les Dogons et les Bambaras, au-delà des composantes touaregs et arabes qui le composaient au départ, et est actif également au Burkina Faso, au Niger, au Bénin et au Togo. Au Mali, il gouverne déjà indirectement des villages, grâce à des accords locaux, et fait de la propagande sur la défense des populations. Profitant du retrait des armées occidentales, mettant à profit l’exaspération des populations face aux exactions de l’armée malienne et de leurs supplétifs russes, les djihadistes ont renforcé leur assise populaire.
Depuis plusieurs semaines, les djihadistes du JNIM imposent jusqu’à Bamako un blocus sur les importations de carburant, paralysant l’économie du pays sahélien enclavé. La capitale, et ses trois millions d’habitants environ, est encerclée. Le carburant ne rentre plus. Les axes routiers principaux, par lesquels transite l’essentiel des biens importés, sont attaqués par des groupes mobiles qui incendient les camions-citernes venant du Sénégal et de la Côte d’Ivoire.
Cette stratégie d’étranglement a poussé l’État à fermer les écoles, empêche les récoltes agricoles dans plusieurs régions et mine l’accès à l’électricité. Le groupe djihadiste a également réussi à interdire à une compagnie de transport à Bamako de circuler à la seule condition de ne pas prendre de militaires, de séparer les hommes et les femmes, et que celles-ci soient voilées. Il demande l’application de la charia, et se présente comme une alternative aux pouvoirs des Etats sahéliens. Si le JNIM a, ces derniers mois, indéniablement étendu son influence sur une large partie du territoire malien, note l’AFP, aucune étude solide ne l’a quantifiée précisément. Il se finance grâce à la collecte de taxes et par les rançons d’enlèvements. Ainsi, la semaine dernière, le JNIM a obtenu au moins 50 millions de dollars pour la libération de deux otages émiratis et de leur employé iranien, a appris l’AFP de sources proches des négociations.
Aveu d’échec
La France, ancienne puissance coloniale, a indiqué suivre « avec une véritable préoccupation » la dégradation de la situation sécuritaire au Mali, et recommande aux ressortissants français (4 300 inscrits) de quitter temporairement le Mali « dès que possible ». Lors d’un déplacement lundi dernier à 150 kilomètres au sud de Bamako, le chef de la junte malienne, le président Assimi Goïta, a appelé ses compatriotes à faire des « efforts », notamment en réduisant les « déplacements inutiles », et promis de « tout faire pour acheminer le carburant ».
Pour les militaires au pouvoir depuis deux coups d’Etat en 2020 et 2021, c’est un aveu d’échec, eux qui avaient promis d’endiguer l’expansion des djihadistes qui secoue le pays depuis plus d’une décennie. Après avoir rompu avec les militaires et politiques occidentaux, dont la France, ils avaient fait appel à des paramilitaires russes et aux mercenaires de Wagner, devenu Africa Corps directement lié au ministère de la Défense russe, après la mort de leur chef, l’influent Evgueni Prigojine.
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Mais aujourd’hui, ils ne contrôlent plus rien, et ont concentré leurs forces pour sécuriser la capitale et le régime. Alors une question est sur toutes les lèvres : Bamako peut-elle tomber ? Le cauchemar que les autorités du Mali avaient voulu éviter en appelant l’armée française à la rescousse en janvier 2013 est-il à nouveau possible ? Selon les spécialistes, prendre la ville par les armes, semble dans l’immédiat peu probable. Les djihadistes du JNIM n’ont pas les capacités militaires, ni les moyens de gouvernance. Il n’empêche : l’objectif à long terme est bel et bien de faire vaciller la junte.

