Emmanuel Macron lors de la séance plénière générale des dirigeants dans le cadre de la COP30, à Belem, au Brésil, le 6 novembre 2025. LUDOVIC MARIN / AFP
En voyage au Brésil, Emmanuel Macron réussit à faire polémique… en France. Le président s’est en effet dit « plutôt positif » sur la possibilité d’accepter l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le bloc latino-américain du Mercosur. Une déclaration vue d’un bon œil à Belem, où il était dans le cadre de la COP30, mais qui a soulevé un tollé en France.
A gauche comme à droite, la classe politique s’est insurgée contre cette prise de position. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a aussi déclaré que « le compte n’y est pas ». Du côté des représentants agricoles, la FNSEA – syndicat majoritaire – a ni plus ni moins dénoncé « un reniement total » de Macron et une « rupture avec l’agriculture française ». Des déclarations qui ont conduit le président à nuancer ses propos.
• Macron prêt à toper avec des clauses de sauvegarde
Jeudi 6 novembre, à Belem, Emmanuel Macron s’exprime sur l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur : « Je suis plutôt positif, mais je reste vigilant parce que je défends aussi les intérêts de la France », déclare-t-il aux journalistes, en marge du sommet des chefs d’Etats qui précède la COP30. « Nous avons été entendus par la Commission qui non seulement nous a donné une réponse positive sur les clauses de sauvegarde, mais a souhaité aussi apporter des soutiens en particulier au secteur de l’élevage, apporter aussi un renforcement des protections de notre marché intérieur avec un renforcement de notre union douanière », complète-t-il. Il ajoute que dans « les semaines qui viennent », la Commission européenne va mener un « travail » avec le Mercosur « pour que ces clauses soient acceptées ».
Destiné à libéraliser les échanges entre l’UE et des pays d’Amérique du Sud, dont les deux géants Brésil et Argentine, le traité du Mercosur avait été signé fin 2024. Adopté le 3 septembre dernier par la Commission européenne, le texte doit encore être approuvé par les 27 pays membres avant d’entrer en application. Mercredi, à l’issue d’une rencontre entre le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la présidence brésilienne a indiqué dans un communiqué qu’ils étaient « disposés à signer » l’accord lors du sommet du Mercosur, le 20 décembre à Rio de Janeiro.
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Emmanuel Macron va-t-il soutenir cette signature ? Auparavant, il avait affirmé à plusieurs reprises que cet accord n’était « pas acceptable en l’état », alors que les agriculteurs français redoutent une « concurrence déloyale » des Sud-Américains. A Belem, il se défend pourtant de tout changement de cap : « J’ai été cohérent depuis le début. J’ai dit qu’en l’état, il n’était pas acceptable, c’est pour ça que je vous dis qu’il est en train d’être changé. Et donc si ces clauses sont bien mises en œuvre qui n’existaient pas dans l’accord, à ce moment-là, nous considérons que cet accord peut être acceptable. »
• Le monde agricole s’étrangle face à ce « reniement total »
En France, les propos du président font siffler les oreilles des syndicats agricoles. Ce vendredi, le président de la puissante FNSEA dénonce ni plus ni moins « un reniement total » d’Emmanuel Macron. Après avoir affirmé au monde agricole « sa ferme opposition » à cet accord, le chef de l’Etat se dit désormais plutôt enclin à l’accepter, depuis le Brésil, « au cœur du territoire de nos concurrents agricoles », s’énerve Arnaud Rousseau dans un message sur X. « En choisissant ce moment et ce lieu pour tendre la main au Mercosur, le Président de la République signe sa rupture avec l’agriculture française », prévient-il, dénonçant un « affront ». « Nous ne laisserons pas brader notre modèle, nos emplois ni notre souveraineté. Nous serons combatifs, avec le soutien des Français, pour refuser un accord qui sacrifierait notre agriculture sur l’autel d’une mondialisation sans règles », ajoute-t-il.
Pour Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, syndicat marqué très à droite, « le Mercosur, c’est la mort de l’agriculture ». Emmanuel Macron « valide un plan social qui ne sera pas qu’agricole, mais ira bien au-delà. Et demain, je ne sais pas qui entretiendra nos territoires », dit-elle à l’AFP. « Ces clauses de sauvegarde, on n’en veut pas. Il faut sortir de l’agriculture de ces accords de libre-échange. C’est tout ».
Historiquement opposée aux accords de libre-échange, la Confédération paysanne, classé à gauche, dénonce de son côté « une trahison ». « Il nous avait dit, la main sur le cœur, au Salon de l’agriculture, qu’il s’opposerait à cet accord. C’était sa responsabilité d’aller chercher le soutien des autres Etats membres pour trouver une minorité de blocage. On est plus qu’en colère », déclare à l’AFP un de ses porte-parole, Stéphane Galais.
• La classe politique accuse Macron de « brader » l’agriculture
Pas de soutien non plus de la classe politique. À gauche comme à droite, une grande partie des élus français martèle sa profonde opposition à l’accord du Mercosur. « Cet accord finalisé dans l’opacité et s’attaquant directement aux intérêts de l’agriculture française doit être rejeté », déclare Marine Le Pen, la patronne des députés du RN sur X. « Après l’industrie, c’est désormais notre agriculture que (le chef de l’État, NDLR) accepte de brader », tance de son côté sur le même réseau social le patron des Républicains, Bruno Retailleau.
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« Les lignes rouges de la France sont connues depuis le départ (…) Et aujourd’hui, même s’il y a des avancées, le compte n’y est pas », assure la ministre de l’Agriculture Annie Genevard sur X. « Même sa ministre de l’Agriculture est contre », ironise Marine Tondelier. « Après avoir promis la main sur le cœur qu’il protégerait l’agriculture française du Mercosur, le voici qui l’abandonne à une concurrence débridée aux normes inacceptables », ajoute la secrétaire nationale des Ecologistes. « Un président aussi discrédité devrait se taire et laisser le Parlement décider ! », affirme de son côté le secrétaire national du PCF Fabien Roussel sur X.
« Emmanuel Macron est en train de signer l’arrêt de mort de l’agriculture française », déplore sur CNews/Europe1, l’eurodéputée insoumise Manon Aubry, critiquant le « retournement inouï et scandaleux » du chef de l’État, qui « disait qu’il allait s’opposer à cet accord de libre-échange ». Elle rappelle avoir lancé « un recours devant la Cour de justice » de l’Union européenne, qui s’il est voté, « suspendra l’examen de cet accord ».
Pour le chef des députés socialiste Boris Vallaud, le président commet « une faute » en s’apprêtant « à dire oui », alors que « le Parlement a dit non. Les Français le rejettent ». L’accord avec le Mercosur, « c’est le renoncement à nos paysans, à notre modèle agricole et à nos engagements climatiques », avertit-il. « C’est une trahison que vous préparez », accuse aussi le député François Ruffin, qui siège au groupe écologiste, en interpellant Emmanuel Macron.
• Sous pression, Macron nuance son propos
A-t-il eu peur d’un retour de la colère des agriculteurs ? « Nous avons commencé à être entendus par la Commission » européenne, « c’est ce qui fait que j’ai pu dire que j’étais plus positif quand elle a présenté un élément nouveau par rapport à l’accord initial avec une clause de sauvegarde agricole robuste », déclare Emmanuel Macron, en fin de journée, ce vendredi, lors d’une conférence de presse à Mexico.
« Mais je reste vigilant, comme je vous l’ai dit hier également, car je défends les intérêts de la France et nous continuons à nous battre », « la France continue d’attendre des réponses claires », martèle-t-il. « Comme je le fais depuis le premier jour avec responsabilité et loin de tous les discours démagogiques, je défends les intérêts de nos producteurs industriels comme agriculteurs », poursuit-il. Et d’ajouter : « Je défends aussi l’intérêt de nos consommateurs pour qu’ils aient les mêmes garanties de sécurité alimentaire lorsqu’on importe des produits comme lorsqu’on produit chez nous. »
Le président en profite pour rappeler les conditions françaises : « Nous demandons trois éléments : une clause de sauvegarde agricole robuste, effective et activable ; des mesures miroirs, notamment sur les pesticides et l’alimentation animale, pour assurer que l’on impose à nos producteurs les mêmes règles qu’aux producteurs dont on importe les produits » ; « et des contrôles sanitaires renforcés ». Il insiste finalement, pour bien montrer la nuance : « Il y a des avancées, ce qui me rend positif. Mais je reste vigilant parce que je n’ai pas la visibilité sur le tout. Et donc la France continue d’attendre des réponses claires. »

