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Le Nouvel Obs avec AFP
Plusieurs travailleurs de l’entreprise français Areva, devenu Orano, retenuent en otage au Niger, le 30 septembre 2010. AP/SIPA
Quinze ans après une interminable prise d’otages, un procès pour Areva, devenu Orano : le géant français du nucléaire sera jugé en correctionnelle, suspecté d’avoir sous-évalué la menace Al-Qaida, rendant possible l’enlèvement en 2010 de cinq Français, un Malgache et un Togolais par l’organisation djihadiste près de la mine d’uranium d’Arlit au Niger.
Confirmant une information du journal « Le Parisien », des sources proches du dossier ont indiqué ce dimanche à l’AFP qu’Areva serait prochainement jugé pour « blessures involontaires par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence et de sécurité imposée par la loi ou le règlement, ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois ».
L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel date du 26 septembre, selon ces sources. Areva ne souhaite pas commenter, a indiqué à l’AFP l’avocate du groupe, Me Marion Lambert-Barret.
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« Il est inacceptable de constater que malgré les nombreux avertissements portés à la connaissance d’Areva, rien n’a été sérieusement mis en œuvre pour protéger les salariés sur les sites », a réagi Me Olivier Morice, avocat de l’un des ex-otages, Pierre Legrand, qui avait porté plainte en 2013.
1 139 jours de détention pour quatre otages
Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, cinq Français – Françoise et Daniel Larribe, Pierre Legrand, Marc Féret et Thierry Dol -, un Malgache, Jean-Claude Rakotoarilalao, et un Togolais, Alex Awando, avaient été enlevés à Arlit par des hommes armés.
Après cinq mois de captivité, le 25 février 2011, Françoise Larribe, malade, avait été libérée avec les salariés malgache et togolais. Les quatre derniers otages avaient été délivrés le 29 octobre 2013, après 1 139 jours de détention dans le désert sahélien. L’information judiciaire a été ouverte en 2013 au pôle antiterroriste parisien.
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Lors de son interrogatoire de mise en examen en juin 2022, le groupe, représenté par sa directrice juridique, avait réfuté tout manquement dans la gestion du risque, affirmant que la protection des salariés était une priorité.
A Arlit, l’un des sites d’extraction d’uranium au Niger, Areva devait assurer la sécurité des expatriés travaillant pour le groupe, ses filiales et sous-traitants, mais chaque entité avait également des obligations de sécurité envers son personnel, s’était défendue la directrice juridique.
Plusieurs avertissements depuis 2008
Selon des éléments de l’enquête dont l’AFP avait eu connaissance, le groupe avait signé un contrat avec Niamey prévoyant la mise à disposition des forces de sécurité nigériennes pour protéger installations minières, logements et déplacements des expatriés.
Les investigations ont révélé le manque de protection du site, où vivaient environ une centaine de personnes. Le couple Larribe a été kidnappé dans sa villa, située dans un ensemble d’habitations non clôturé. Ces lieux de vie étaient surveillés par des Touareg, employés de sociétés privées, sans armes. Aucun système d’alerte ni base de repli n’était prévu en cas d’intrusion.
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Dès 2008, l’attaché de défense de l’ambassade de France avait pourtant alerté sur la sécurité défaillante du site d’Arlit. Des audits réalisés après le rapt ont pointé des manquements, d’après les éléments de l’enquête.
Pour la sécurité, Areva s’appuyait sur le commissariat et la gendarmerie d’Arlit, ainsi que sur un bataillon de 250 soldats de l’armée nigérienne stationné à cinq kilomètres. Lors des kidnappings, policiers et gendarmes ne sont pas intervenus. Les forces de sécurité sont arrivées une heure et demie après. Les investigations ont révélé le manque de formation et d’équipement de ces hommes.
Pour Areva, le dispositif de sécurisation élaboré était solide, mais sa mise en œuvre a été défaillante, avait justifié la directrice juridique. Aux négligences de sécurité s’ajoutait une sous-évaluation du risque que représentait Aqmi au Niger, selon les juges d’instruction. Depuis 2009, les enlèvements d’Occidentaux et les menaces d’Aqmi contre les intérêts français s’étaient multipliés. Areva n’a pas tenu compte des avertissements, estiment les juges d’instruction.