Un membre des forces de sécurité talibanes à proximité de la frontière pakistano-afghane, ce dimanche 12 octobre. – / AFP
C’est l’escalade. Afghanistan et Pakistan semblent s’être engagés dans un engrenage de représailles mutuelles qui pourrait déstabiliser la région. Que s’est-il passé à la frontière pakistano-afghane dans la nuit de samedi à dimanche ? Quelle sera la réaction du Pakistan ? Quel est le rôle de l’Inde ? « Le Nouvel Obs » fait le point sur la situation.
Que s’est-il passé à la frontière cette nuit ?
Le porte-parole du gouvernement taliban a assuré ce dimanche que ses forces avaient tué « 58 soldats pakistanais » lors d’une opération de représailles menée dans la nuit contre le Pakistan, à la frontière commune avec l’Afghanistan.
Lors de ces affrontements, « 58 soldats pakistanais ont été tués et une trentaine blessés », a assuré dimanche lors d’une conférence de presse Zabihullah Mujahid, faisant aussi état de « 9 forces talibanes tuées ». Le Pakistan n’a pas confirmé ce nombre et livre un bilan totalement différent, assurant pour sa part que 23 de ses soldats et 200 côté afghan ont été tués dans ces affrontements : « 23 soldats pakistanais sont morts en défendant l’intégrité territoriale de notre pays contre cette attaque scandaleuse » et « nous avons neutralisé plus de 200 talibans et terroristes affiliés au moyen de tirs, raids et frappes de précision », a assuré l’armée dans un communiqué.
Samedi soir, le ministère taliban de la Défense avait indiqué avoir mené « avec succès » cette opération armée contre les forces de sécurité pakistanaises « en réponse à des violations répétées et frappes aériennes sur le territoire afghan par l’armée pakistanaise ». Kaboul a finalement annoncé à l’AFP la fin de son opération autour de minuit heure locale.
Islamabad, qui n’a pas confirmé être à l’origine des explosions sur la capitale afghane et dans le sud-est du pays jeudi, avait dit samedi soir être attaqué à sa frontière. Il assurait avoir répliqué à des attaques menées depuis les provinces afghanes de Kunar, Nangarhar, Paktia, Khost et Helmand, tout le long de la ligne Durand, qui divise les deux pays.
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Quelle sera la réaction du Pakistan ?
Le Pakistan a promis dimanche « une réponse musclée » à l’opération menée par l’Afghanistan contre ses forces dans la nuit.
« Il n’y aura aucun compromis sur la défense du Pakistan, et chaque provocation sera suivie d’une réponse musclée et efficace », a averti dimanche le Premier ministre pakistanais, Shehbaz Sharif, dans un communiqué, accusant Kaboul d’abriter des « éléments terroristes ».
Pour sa part Zabihullah Mujahid a indiqué dimanche que le Pakistan avait attaqué ce matin et s’est dit « prêt à riposter fermement ».
Un journaliste de l’AFP présent dans la province afghane de Khost a confirmé des tirs nourris tôt dimanche matin depuis le Pakistan à la frontière. Les deux pays assurent avoir capturé des postes de sécurité ennemis.
Au petit matin, deux points de passage clés entre le Pakistan et l’Afghanistan, Torkham et Spin Boldak, où transitent notamment des milliers d’Afghans expulsés ces derniers mois par Islamabad, étaient fermés, ont indiqué à l’AFP des hauts responsables afghans et pakistanais.
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Quel est le contexte ?
Depuis le retour au pouvoir des talibans afghans à l’été 2021, les relations entre les deux voisins ne cessent de se détériorer, Islamabad accusant son voisin « d’abriter » des talibans pakistanais (TTP). Ce mouvement, formé au combat en Afghanistan et qui se revendique de la même idéologie que les talibans afghans, est accusé par Islamabad d’avoir tué des centaines de ses soldats depuis 2021.
Samedi, c’est d’ailleurs le TTP qui a revendiqué les attaques meurtrières dans le nord-ouest du Pakistan frontalier de l’Afghanistan qui ont causé la mort de soldats pakistanais.
« Islamabad n’a cessé de mettre en garde Kaboul contre le nombre croissant d’attaques mortelles contre ses soldats fomentées depuis le sol afghan, assurant qu’il finirait par frapper les repaires des militants et c’est ce qu’il s’est passé », estime auprès de l’AFP Maleeha Lhodi, ancienne haute diplomate pakistanaise.
Le gouvernement taliban accuse ainsi Islamabad d’avoir « violé la souveraineté territoriale de Kaboul » jeudi, alors que deux explosions avaient secoué la capitale et une troisième dans le sud-est du pays, qui visaient probablement, selon les experts, des cibles du TTP.
« Ces affrontements frontaliers ont plongé les relations entre les deux voisins à leur plus bas niveau historique, mais aucun des deux pays ne peut se permettre une rupture diplomatique », assure Maleeha Lhodi.
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Quel est le rôle de l’Inde dans la flambée de violence ?
Si dans la région, l’Iran et l’Arabie saoudite ont immédiatement appelé les deux pays à une « désescalade », Expert en relations internationale, Wahid Faqiri estime que « le réchauffement sans précédent des relations entre les talibans et l’Inde » a « provoqué la colère du Pakistan et poussé Islamabad à l’agression ».
New Delhi a en effet reçu vendredi sur son sol le ministre taliban des Affaires étrangères Amir Khan Muttaqi pour la première fois depuis 2021 et annoncé que la mission diplomatique indienne à Kaboul allait redevenir une véritable ambassade.
« Aujourd’hui, le conflit entre l’Afghanistan et le Pakistan s’aggrave rapidement et les talibans tentent désormais d’exploiter le sentiment patriotique actuel à leur avantage contre le Pakistan », poursuit Wahid Faqiri.
Jeudi, le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Muhammad Asif, a déclaré au Parlement que les multiples tentatives pour convaincre les talibans afghans de cesser de soutenir le TTP avaient échoué.
Un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies publié plus tôt cette année estimait que le TTP « a sans doute été le groupe extrémiste étranger en Afghanistan qui a le plus profité » du retour des talibans afghans, « qui ont accueilli et activement soutenu » le mouvement.
Mais Kaboul dément fermement et renvoie l’accusation à Islamabad, assurant que le Pakistan soutient des groupes « terroristes », notamment la branche régionale du groupe Etat islamique (EI)…
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