Par
R. F.
Les soldats d’un contingent de l’armée ont rejoint samedi les manifestants opposés au président malgache Andry Rajoelina dans les rues de la capitale Antananarivo. LUIS TATO / AFP
Le pouvoir malgache est-il en train de s’effondrer ? Le président malgache, Andry Rajoelina, a déclaré ce dimanche 12 octobre qu’une « tentative de prise du pouvoir illégale et par la force » était en cours, au lendemain du ralliement d’un contingent de soldats aux côtés de milliers de manifestants anti-gouvernementaux dans la capitale Antananarivo.
Que se passe-t-il à Madagascar ? Qui sont ces militaires et que revendiquent-ils ? Que sait-on du président Andry Rajoelina ? « Le Nouvel Obs » fait le point sur la situation précaire dans l’île.
• Que se passe-t-il à Madagascar ?
Le pays est secoué depuis plusieurs semaines par des manifestations réprimées dans la violence. Au moins 22 personnes ont été tuées et plus d’une centaine d’autres blessées, d’après le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme (HCDH), qui a fait état de « manifestants et de passants tués par des membres des forces de sécurité ». Le chef de l’Etat, Andry Rajoelina, a démenti des « chiffres erronés », estimant les « pertes de vies » sur cette période à douze, tous « des pilleurs, des casseurs », selon lui.
Des vidéos de la violence de la police sont devenues virales sur les réseaux sociaux. L’une d’elles montre un homme laissé inconscient au sol après avoir été poursuivi et sévèrement battu par les forces de sécurité, ce que des journalistes de l’AFP ont constaté sur place.
Des manifestants malgaches ont vandalisé un véhicule de la gendarmerie ce samedi. LUIS TATO / AFP
Lancée par le mouvement « Gen Z » (« génération Z »), pour protester contre les coupures d’eau et d’électricité, la protestation s’est transformée en une remise en cause des responsables politiques au pouvoir, à commencer par le président Andry Raojelina.
Il faut dire qu’après avoir adopté un ton conciliant et renvoyé le gouvernement, le président a pris un tournant sécuritaire en nommant un militaire comme Premier ministre ainsi que seulement trois nouveaux ministres jusqu’ici : ceux des Armées, de la Sécurité publique et de la Gendarmerie.
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Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a appelé ce vendredi les autorités malgaches à « cesser le recours à une force inutile » au lendemain de manifestations à Antananarivo ayant de nouveau fait de nombreux blessés parmi les contestataires.
• Qui sont les militaires qui ont rejoint les manifestants ?
Dans un inattendu coup de théâtre ce samedi, le contingent militaire d’une importante base située près de la capitale malgache, Antananarivo, a appelé les forces de sécurité à la désobéissance, demandant notamment aux soldats et aux forces de sécurité d’« unir leurs forces » et de « refuser les ordres de tirer » sur les manifestants.
« Unissons nos forces, militaires, gendarmes et policiers, et refusons d’être payés pour tirer sur nos amis, nos frères et nos sœurs », ont déclaré des soldats du district de Soanierana, en périphérie d’Antananarivo. « Les jeunes peinent à trouver du travail alors que la corruption et le pillage de la richesse ne cessent de s’accroître sous différentes formes » et que « les forces de l’ordre persécutent, blessent, emprisonnent et tirent sur nos compatriotes », ont souligné ces soldats.
Les militaires du CAPSAT lors de leur déclaration à la presse, ce samedi 11 octobre. RIJASOLO / AFP
Dans les heures qui ont suivi, des véhicules chargés de soldats armés ont rejoint dans l’après-midi des milliers de manifestants rassemblés dans la zone du lac Anosy, dans le sud de la capitale, où la police avait tiré des grenades lacrymogènes pour tenter de les disperser, montre une vidéo de l’AFP. Les manifestants ont crié « Merci » aux militaires, dont certains brandissaient des drapeaux malgaches. Impossible toutefois de connaître le nombre de soldats ayant pour l’heure répondu à cet appel.
Des militaires du CAPSAT ont rejoint les manifestants dans la rue. LUIS TATO / AFP
Le contingent militaire du CAPSAT (Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques) a également appelé les policiers et les gendarmes à les rejoindre, et demandé aux militaires postés devant les palais présidentiels de quitter leurs positions et de bloquer l’aéroport.
En 2009, cette base située à la périphérie de la capitale malgache, avait déjà mené une mutinerie lors du soulèvement populaire qui avait porté au pouvoir… l’actuel président.
• Que revendique le CAPSAT ?
Le contingent de l’armée malgache a affirmé ce dimanche avoir pris le contrôle des forces armées du pays.
« Désormais, tous les ordres de l’armée malgache, qu’ils soient terrestres, aériens ou militaires, émaneront du quartier général du CAPSAT (Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques) », ont annoncé des officiers de ce contingent dans une déclaration vidéo.
« À tous les militaires, ceux qui sont prêts à prendre leur responsabilité, rejoignez immédiatement le CAPSAT », avait déjà ordonné le contingent samedi. « Vous, les militaires au palais présidentiel d’Iavoloha et d’Ambohitsorohitra, quittez votre poste et rejoignez vos camps d’origine. […] Vous qui êtes à Ivato, empêchez tous les aéronefs sans distinctions de décoller.
« Fermez les portails et attendez nos instructions. N’obéissez plus aux ordres venant de vos supérieurs. Braquez vos armes sur ceux qui vous ordonnent de tirer sur vos frères d’armes car ce ne sont pas eux qui vont s’occuper de notre famille si jamais on meurt. »
Une nouvelle manifestation était prévue dimanche matin dans la capitale malgache, tandis qu’une cérémonie de funérailles d’un soldat tué lors d’une manifestation la veille est en cours.
• Que sait-on du président Andry Rajoelina ?
« La présidence de la République souhaite informer la nation et la communauté internationale qu’une tentative de prise du pouvoir illégale et par la force, contraire à la Constitution et aux principes démocratiques, est actuellement en cours sur le territoire national », a déclaré Andry Rajoelina dans un communiqué ce dimanche.
« Le dialogue est la seule voie à suivre et la seule solution à la crise à laquelle le pays est actuellement confronté. »
Pays parmi les plus pauvres du monde, Madagascar a connu de fréquents soulèvements populaires depuis son indépendance de la France en 1960, notamment des manifestations de masse en 2009 qui avaient contraint le président de l’époque, Marc Ravalomanana, à quitter le pouvoir, tandis que l’armée installait Andry Rajoelina pour son premier mandat.
Ce dernier a été réélu en 2018, puis en 2023, lors d’élections contestées et boycottées par l’opposition.
Le président malgache Andry Rajoelina, lors d’une cérémonie, le 2 septembre. MAMYRAEL / AFP
Il semble pour l’heure toujours soutenu par le nouveau ministre des Armées, Deramasinjaka Manantsoa Rakotoarivelo, qui a, pour sa part, appelé samedi les troupes au calme lors d’une conférence de presse. « Nous appelons nos frères qui ne sont pas d’accord avec nous à privilégier le dialogue », a-t-il déclaré.
« L’armée malgache demeure un médiateur et constitue la dernière ligne de défense de la nation ».
• L’apaisement est-il encore possible ?
Des officiers de la gendarmerie, accusés de violences contre les manifestants, ont publié dimanche matin une déclaration vidéo reconnaissant « des fautes et des excès lors de nos interventions » et appelant à la « fraternité » entre l’armée et les gendarmes.
« Nous sommes là pour protéger, pas pour terroriser », ont-ils déclaré, ajoutant que « désormais, tous les ordres viendront uniquement » du quartier général de la gendarmerie.
Mais la manifestation de samedi à Antananarivo a été l’une des plus importantes depuis le début de la contestation le 25 septembre. Des soldats ont affronté les gendarmes devant une caserne et sont entrés dans la ville à bord de véhicules militaires pour rejoindre les manifestants sur la symbolique place du 13 mai, devant la mairie d’Antananarivo, où ils ont été accueillis par des acclamations et des appels à la démission de Rajoelina.
Samedi soir, le nouveau Premier ministre, Ruphin Zafisambo, a assuré que le gouvernement, « qui se maintient fermement », était « prêt à collaborer et à écouter toutes les forces : les jeunes, les syndicats et l’armée ». « Madagascar ne pourra pas résister à d’autres crises si cette division entre les citoyens persiste », a poursuivi le général Ruphin Zafisambo dans un bref discours filmé.
De son côté, la présidence a publié un communiqué assurant que le président Andry Rajoelina « reste dans le pays » et « continue de gérer les affaires nationales ».
• Quelles réactions à l’internationale ?
La communauté internationale semble, pour l’instant, avoir les yeux tournés vers le Moyen-Orient, avec d’un côté la libération attendue des otages du 7-Octobre et de prisonniers palestiniens et, de l’autres, la tenue d’un sommet international en Egypte à partir de lundi. Les réactions ne se bousculent donc pas…
Tout juste trouve-t-on, après quelques minutes de recherches sur le site du ministère des Affaires étrangères français, un court article à destination des potentiels touristes français et évoquant la situation sur place. « Il est vivement conseillé d’éviter tout déplacement et de rester à son domicile ou dans son hôtel/lieu d’hébergement », peut-on y lire.
« Il est fortement conseillé de rester informé afin de se tenir à l’écart de tout rassemblement, de respecter les consignes des autorités locales et forces de sécurité, notamment en matière de couvre-feux. »
Air France a, de son côté, annoncé à l’AFP avoir suspendu ses liaisons entre l’aéroport Paris-Charles de Gaulle et Antananarivo depuis samedi et jusqu’au lundi 13 octobre inclus, « en raison de la situation sécuritaire ». La reprise des opérations « restera soumise à une évaluation quotidienne de la situation sur place », a précisé la compagnie. De son côté la compagnie Air Austral qui opère entre l’Ile de la Réunion et Madagascar a indiqué à l’AFP qu’elle avait annulé une rotation samedi mais que ses vols étaient « maintenus » pour la journée de dimanche.