Le gouvernement de Benyamin Netanyahou n’attend pas que la France et d’autres pays occidentaux reconnaissent l’Etat de Palestine ; au cours des deux dernières années, il a pris une série de mesures visant à rendre difficile, voire impossible, l’indépendance d’un Etat palestinien. La stratégie israélienne consiste, d’une part, à affaiblir l’Autorité palestinienne, et de l’autre, à renforcer la présence juive en Cisjordanie et bientôt, peut-être, dans la bande de Gaza. L’objectif officiel est la création d’un Grand Israël qui saborderait celle d’un Etat palestinien tout en incitant les Arabes à émigrer ailleurs.
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Pour parvenir à ses fins, le gouvernement israélien utilise des leviers économiques et financiers ; il met en place une forme de privatisation des territoires palestiniens qui retire aux autorités locales et aux instances internationales leur rôle dans la gestion de la vie quotidienne des populations palestiniennes. Cette stratégie est conduite par Bezalel Smotrich, le chef du Parti sioniste religieux qui occupe deux postes ministériels importants au sein de la coalition gouvernementale : ministre des Finances et ministre délégué auprès du ministère de la Défense en charge des actions du gouvernement en Cisjordanie. Smotrich n’hésite donc pas à user de ses fonctions officielles pour mettre en œuvre son idéologie ultranationaliste d’extrême droite visant à la colonisation des territoires palestiniens.
Fin de l’Autorité palestinienne
La stratégie israélienne d’affaiblissement de l’Autorité palestinienne se traduit notamment par la privatisation des prérogatives publiques à des entités privées. Pour ce faire, le ministre israélien des Finances n’hésite pas bafouer les accords internationaux ; selon les accords de paix d’Oslo, Israël prélève les droits de douane sur les marchandises destinées aux territoires palestiniens et qui transitent par Israël pour les reverser à l’Autorité palestinienne. Depuis bientôt trois ans, le ministre Smotrich gèle ou retarde systématiquement les transferts fiscaux, privant l’Autorité palestinienne de 70 % de ses ressources budgétaires.
De même, l’annulation de la dérogation permettant aux banques israéliennes et palestiniennes de travailler ensemble est un coup dur porté aux institutions financières palestiniennes. Prise en octobre 2024 par le ministre Smotrich, cette mesure a été provisoirement suspendue face à la pression des pays occidentaux qui y voyaient un risque d’effondrement de l’Autorité palestinienne. Or, en juin 2025, le gouvernement israélien a annoncé l’annulation définitive de la dérogation bancaire, menaçant de paralysie l’économie des territoires palestiniens qui dépend largement des transferts de fonds transitant par le système bancaire israélien.
Depuis l’attaque du Hamas en octobre 2023, le gouvernement israélien n’a pas renouvelé les permis de travail de 150 000 Palestiniens employés quotidiennement en Israël. Si la perte de revenus est importante pour leurs familles, elle est aussi significative pour l’Autorité palestinienne : les employeurs israéliens prélevaient à la source l’impôt sur le revenu des ouvriers palestiniens et leurs cotisations sociales pour les reverser aux caisses de l’Autorité palestinienne.
Neutralisation des organisations internationales
A défaut de ressources suffisantes pour exercer ses fonctions régaliennes, l’Autorité palestinienne s’en remet aux capitaux privés (dons et investissements) et organisations internationales pour remplir les missions qui, d’ordinaire, reviennent à un Etat : santé, éducation, infrastructures, logements, etc. Or, depuis le 7 octobre 2023, les agences de l’ONU sont sur la sellette du gouvernement israélien qui accélère la privatisation des services publics indispensables à la survie de la population locale.
Progressivement, les agences de l’ONU ont été démises de leurs fonctions et leurs activités transférées à des organismes privés. En octobre 2024, le Parlement israélien a adopté un texte interdisant sur son sol les activités de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, qui gère notamment des centres de santé et des écoles à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. De même, le texte de loi interdit à des Israéliens de coopérer avec les employés de l’UNRWA, ce qui perturbe les activités de l’agence dans la mesure où Israël contrôle strictement toutes les entrées de cargaisons d’aide humanitaire vers Gaza.
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Après avoir affaibli l’Autorité palestinienne et neutralisé les organisations internationales, Israël transfère leurs prérogatives au secteur privé. Début 2025, la privatisation de l’aide humanitaire s’est traduite par la création de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), une organisation privée soutenue par les Etats-Unis et Israël ; la GHF, dont les financements restent opaques, aurait pour prestataires des sociétés de sécurité privées américaines en charge des distributions alimentaires dans la bande de Gaza.
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En août, le gouvernement israélien a annoncé assouplir l’aide humanitaire à Gaza ; dorénavant, Israël autorise l’entrée de marchandises dans la bande de Gaza par l’intermédiaire de commerçants locaux. Le secteur privé peut donc commercialiser des produits alimentaires et d’hygiène sous le contrôle strict des autorités israéliens. L’objectif officiel est de réduire la dépendance à la collecte d’aide par l’ONU et les organisations internationales.
Privatisation de la colonisation
Depuis son investiture il y a bientôt trois ans, le gouvernement Netanyahou multiplie les mesures d’expropriation des terres arabes en faveur de colonisation juive. Cette politique s’est accélérée après les massacres du 7 octobre 2023 ; en mai, par exemple, le conseil des ministres approuvait la création de 22 nouvelles colonies en Cisjordanie. Le gouvernement israélien entend faciliter l’acquisition par des Israéliens de terrains et logements en territoires palestiniens avec une intervention publique réduite à son minimum, conduisant à une sorte de privatisation de la colonisation.
Dans la bande de Gaza, la reconstruction aussi pourrait être privatisée : en juillet, Bezalel Smotrich déclarait vouloir transformer Gaza en « riviera » et y rétablir une présence juive permanente. Il reprenait ainsi le plan Trump visant à faire de la reconstruction de Gaza une vaste opération immobilière confiée à des capitaux privés.
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Fin juillet, le gouvernement israélien faisait adopter par le Parlement une résolution permettant d’appliquer la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie. De facto, Israël procède à l’annexion des territoires palestiniens et à la délégitimation de l’Autorité palestinienne mise en place à Ramallah en 1994 à la suite des accords de paix d’Oslo.
A la mi-août, le ministre Smotrich appelait à relancer un projet de colonisation gelé depuis 2021 et qui prévoit la construction de 3 400 unités de logements pour les colons juifs en Cisjordanie ; ce projet, surnommé E1, entraînerait des conséquences graves sur toute perspective de solution politique future puisqu’il instaurerait une continuité territoriale entre le centre de la Cisjordanie et Jérusalem, entravant toute possibilité de création d’un Etat palestinien viable.
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En déclarant la guerre économique aux territoires palestiniens, le gouvernement israélien entend satisfaire les partis nationalistes et religieux d’extrême droite qui garantissent le maintien au pouvoir du Premier ministre Benyamin Netanyahou. La politique de privatisation permet aux dirigeants israéliens d’asphyxier l’économie palestinienne, de conduire l’Autorité palestinienne à la faillite et de rendre impossible la viabilité économique d’un Etat palestinien.
BIO EXPRESS
Jacques Bendelac, docteur en économie, est chercheur en sciences sociales à Jérusalem. Il est l’auteur de nombreux essais, dont « les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (Editions l’Harmattan, 2022).
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.