À Mazères (Ariège), la marque Native développe des modèles artisanaux prisés des pêcheurs au toc et à la mouche, avec une production locale exigeante qui séduit désormais au-delà des frontières.
Un bâtiment qui ne paie pas de mine, dans une petite zone regroupant plusieurs activités qui ne paie pas de mine non plus. Quand on jette un œil par la vitre, seul un poisson répondant au doux nom de Big Mouth Billy Bass, accroché au mur, peut donner un indice quant à la nature de l’entreprise qui se cache derrière ces murs plutôt banals.
C’est pourtant bien au lieu-dit Quiourt, à Mazères, qu’une des entreprises des plus créatives dans le monde de la pêche s’est nichée. Quand on s’enfonce dans le bâtiment, on entre dans le monde de Native, la marque de pêche de la société 43e Nord. L’atelier aux couleurs chaudes, où s’entassent hameçons, cartons et papiers, témoigne de l’émulation qui règne au sein de la compagnie : pour cause, chez Native, on conçoit et on fabrique des cannes à pêche haut de gamme qui font fureur dans le monde des pêcheurs à la truite.

Native est née de l’esprit d’une bande d’amis, passionnés de pêche évidemment. “Au départ, il y avait notre ami Mathieu qui voulait une canne à pêche qu’il ne trouvait pas sur le marché, donc il a commencé à bricoler des trucs, raconte Pierre Lavignotte, gérant de la boîte. Moi aussi de mon côté, je montais des cannes à pêche comme seconde activité et on a vu que ça plaisait, donc on s’est dit qu’on allait se lancer dedans et qu’on verrait bien.”
Sept ans plus tard, voilà Native installée à Mazères, avec trois salariés et un véritable atelier de production. L’ancien informaticien et ses collègues du secteur bancaire, qui avaient installé leur fabrique de cannes sur la terrasse de leurs appartements toulousains, ont bien grandi. Tout est parti de leurs besoins pour la pêche au toc, une technique de pêche pyrénéenne qui utilisait des cannes plutôt rigides qui ne convenaient pas : “On a fait des cannes beaucoup plus souples que ce qui se faisait. C’était un truc très de niche, mais dans le secteur, il n’y avait que quelques marques historiques qui ne faisaient pas d’évolution et on a proposé un produit différent qui s’est fait remarquer”, précise le gérant.

La production artisanale s’est peu à peu affinée jusqu’à devenir sérielle. “On a commencé par un modèle de cannes, aujourd’hui je crois qu’on est à 16, plus une canne de pêche à la mouche et on voulait dès le départ avoir une gamme de produits plus large. Aussi, on vend aujourd’hui des accessoires, du textile ou des chaussures”, développe Pierre Lavignotte.
Pourtant, le chemin n’a pas été de tout repos pour les associés de Native. La pandémie de Covid a notamment été un déclencheur pour rapatrier la fabrication en France. “On s’est lancé dans la recherche pour savoir comment on pouvait fabriquer les cannes, parce qu’en France plus personne ne fait ça depuis longtemps, et les fabricants existants n’écrivent pas des livres pour expliquer leur savoir-faire”, sourit le gérant. Il aura fallu “gratter sur Internet” et partir aux États-Unis pour lui-même pour être formé à la fabrication des cannes.
Mais Native n’en était pas au bout de sa peine : ils ont ainsi fait faire leurs machines plutôt que d’en acheter, étant donné le prix prohibitif de ces instruments fabriqués notamment aux États-Unis. “Quand j’ai vu les devis, je me suis dit que ce n’était pas possible. Pour les machines chinoises, je n’étais pas sûr de leur fiabilité, donc on s’est dit autant aller jusqu’au bout. J’ai fait la conception, un ingénieur a fait les pièces en 3D et on a assemblé les pièces”, relate Pierre Lavignotte.

Du bel ouvrage, qui après quelques ajustements leur permet aujourd’hui de faire les cannes de pêche à la mouche de A à Z : un processus gratifiant, qui leur permet aussi d’aller plus loin dans le développement. Les composants des cannes de pêche au toc sont quant à eux fabriqué en Asie et assemblé en Ariège. “L’idée est qu’on soit en mesure de les faire plus tard, mais pour l’instant on n’a pas le temps de tout faire, c’est déjà beaucoup de boulot. Après, on aurait pu choisir la facilité et faire fabriquer la canne entière en Asie, mais non, on s’est dit qu’on allait faire plus compliqué”, sourit le gérant.
Et leurs efforts sont récompensés par le succès que rencontrent leurs produits. “Au départ, c’était beaucoup le bouche-à-oreille, le réseau, mais on a étendu”, précise Pierre Lavignotte. À force de démarchage, plusieurs dizaines de magasins vendent désormais les cannes à pêche, en France mais aussi dans les pays limitrophes. De quoi s’imposer parmi les meilleurs fabricants de cannes à pêches en France ? “Pour la pêche au toc, on s’est fait une place parmi l’élite, maintenant on va essayer ça pour la pêche à la mouche”, glisse-t-il.
La maîtrise du carbone pour fabriquer des cannes à pêche de haute technologie
Pour faire des cannes à pêches d’une souplesse rare, Native emploie du carbone, ce matériau d’une légèreté et d’une résistance. Mais c’est tout un processus par lequel il faut passer pour lui donner la forme voulue, qui commence par une très fine feuille du matériau.
Celle-ci est enroulée autour d’un mandrin, un fin tube d’acier qui peut être de différentes tailles ou conicités. C’est cette tige faite sur mesure qui permet de donner sa forme au tube de carbone, qui est complété par de la résine. Un tout aussi fin film plastique est entouré autour de la canne en devenir, afin de garder la forme de la canne, qui part ensuite plusieurs heures au four. Comme le plastique est thermorétractable, cela permet aussi de compresser le carbone pendant la cuisson.
Une fois cette tige obtenue, les éléments sont assemblés. Ne reste plus qu’à ajouter les poignées, en carbone ou en liège, pour obtenir une canne made in Ariège, un bel objet qui séduit les pêcheurs éclairés. “C’est un empilement de plein de petits détails qui font qu’à la fin, on a un produit vraiment parfait, explique Pierre Lavignotte Aujourd’hui, sur le marché, notre constat, c’est qu’il y a plein de bonnes cannes, même des bons marchés, qui sont très bien, mais il y a toujours un détail qu’on peut améliorer. Nous, c’est ce qu’on va essayer de faire en faisant nous-même, pour maîtriser chacun de ses détails.”