Transmettre, accompagner, enseigner : c’était leur vocation. Pourtant, face à la fatigue et au manque de perspectives, nombreux sont les professeurs qui choisissent aujourd’hui de quitter l’Éducation nationale.
Chaque année, ils sont des centaines à quitter l’Éducation nationale. Vocation contrariée, lassitude ou besoin d’air, les raisons varient mais se rejoignent : ils ne veulent plus enseigner dans un système qu’ils jugent étouffant. La Dépêche du Midi a recueilli les témoignages de quatre enseignants qui ont choisi d’emprunter une autre voie.
“Je ne veux pas finir comme eux”
Jennifer a enseigné l’anglais et le français dans un lycée agricole pendant quinze ans. Toujours à mi-temps, elle plafonnait à 800 euros par mois. “J’attendais un hypothétique plein-temps, mais il n’y avait aucune perspective d’évolution, je trouvais ça très frustrant”, raconte-t-elle. En 2007, un changement de loi autorise les fonctionnaires à créer une entreprise. Jennifer saisit sa chance : elle développe une agence de séjours linguistiques chez des familles britanniques vivant en France. D’abord à côté de son emploi, puis à temps plein.
“Les profs ne mesurent pas à quel point ils sont employables ailleurs. On sait s’organiser, improviser, gérer des groupes. En fait, on est très bien préparés à être chefs d’entreprise”, explique-t-elle. Un choix motivé par la peur de finir “comme ses collègues. “J’ai vu des enseignants partir en burn-out, d’autres allers en hôpital psychiatrique à cause d’une forte dépression, et ils n’ont eu aucun soutien de l’administration. Je me suis dit : je ne veux pas finir comme eux.”
Un discours qui fait écho à celui de Thomas, professeur de physique chimie. Comme Jennifer, il a aimé enseigner mais n’a plus trouvé sa place dans une institution qui, selon lui, “use” ses personnels. Après 12 ans d’enseignement, il a pourtant décidé de tout arrêter. “Je n’en pouvais plus, alors pendant trois ans j’ai suivi une formation d’herboriste à distance. Aujourd’hui, je prépare l’ouverture d’une herboristerie et d’un tiers-lieu culturel. Je ne veux plus enseigner, même si j’ai adoré le faire”, confie-t-il. Une décision qui résulte d’un long processus, marqué par la fatigue et la colère. “On démarre avec une surcharge colossale, des nuits blanches pour préparer les cours, un salaire dérisoire. On a l’impression d’être exploités, le système nous en demande d’en faire toujours plus”, dit-il.
“On a tout fait pour casser l’image des professeurs”
Un sentiment d’épuisement partagé par Catherine, qui, après quinze ans de carrière, a choisi de quitter son poste d’enseignante dans un lycée avant l’âge légal de la retraite. À 40 ans, elle a décidé de changer de vie pour devenir professeure de lettres, mais quinze ans plus tard, en 2017, c’est la douche froide. “J’étais épuisée. On passait plus de temps à remplir des rapports et des cahiers de textes qu’à faire cours. Les élèves étaient devenus très difficiles, je faisais beaucoup de discipline et ce n’est pas normal”, déplore-t-elle.
Plus encore que la charge de travail, Catherine pointe “un mépris institutionnalisé” : “On a tout fait pour casser l’image des profs dans l’opinion. Comme si on voulait briser une catégorie socioprofessionnelle.” Si l’ex-enseignante ne garde aucune rancœur envers ses élèves, elle veut tout de même alerter sur le manque de reconnaissance. “On nous critique tout le temps, mais notre métier est devenu un vrai cauchemar”, conclut-elle.
Marie elle n’a pas eu le temps de s’user sur la durée. Elle rêvait d’être maîtresse d’école, mais ses deux premières années d’enseignement ont suffi pour la détourner définitivement de ce métier. “Je travaillais tout le temps, je n’avais plus aucune vie sociale, plus aucune activité. Je voulais tellement bien faire”, explique-t-elle. Pourtant, sa tutrice la critique sans relâche dans ses rapports. “Elle n’était jamais satisfaite. Un jour j’ai un élève autiste qui m’a frappé, c’était vraiment dur de gérer ce genre de crise.” L’inspecteur suit l’avis, et elle est licenciée. De cette expérience, Marie en garde un profond sentiment d’injustice. “On nous traite comme des machines. On fait le maximum malgré des conditions difficiles, mais ce n’est jamais assez”, déplore-t-elle. Autant de récits qui rappellent que derrière la vocation, l’usure finit souvent par l’emporter.