Le correspondant d’Al-Jazeera, Anas al-Sharif, 28 ans, lors d’un reportage près d’un hôpital à Gaza, le 10 octobre 2024. – / AFP
Al-Jazeera a annoncé la mort de cinq de ses journalistes dimanche 10 août lors d’une frappe israélienne dans la bande de Gaza, dont un reporter bien connu de ses téléspectateurs que l’armée israélienne a reconnu avoir ciblé, le qualifiant de « terroriste ». Un journaliste pigiste a aussi été tué dans la même frappe.
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Leurs noms s’ajoutent à la liste des près de 200 journalistes, selon Reporters sans Frontières, tués dans la guerre lancée en représailles à la sanglante attaque du mouvement palestinien Hamas du 7 octobre 2023.
• « Une attaque ciblée israélienne », selon Al-Jazeera
Au moment où le gouvernement israélien se montre déterminé à mettre en œuvre son nouveau plan d’opération dans le territoire palestinien dévasté et affamé par vingt-deux mois de guerre, la chaîne basée au Qatar a fait état de « ce qui semble être une attaque ciblée israélienne » sur une tente utilisée par ses journalistes à Gaza-Ville, devant l’hôpital al-Shifa.
Elle a fait part du décès de ses correspondants Anas al-Sharif et Mohammed Qreiqeh, ainsi que des cameramen Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa.
Le journaliste indépendant Mohammad al-Khaldi, qui collaborait occasionnellement avec des médias locaux, est également décédé dans cette tente, rapporte Reuters.
• Un « terroriste » qui « se faisait passer pour un journaliste », assure Israël
Anas al-Sharif, 28 ans, était l’un des visages les plus connus parmi les correspondants couvrant quotidiennement le conflit à Gaza. L’armée israélienne a confirmé l’avoir ciblé, le qualifiant de « terroriste » qui « se faisait passer pour un journaliste ».
Il « était le chef d’une cellule terroriste au sein de l’organisation terroriste Hamas et était responsable de la préparation d’attaques de roquettes contre des civils israéliens et les troupes » israéliennes, a-t-elle affirmé.
• Anas al-Sharif appelle à « ne pas oublier Gaza »
Dans ses derniers messages postés sur X dimanche, Anas al-Sharif faisait état d’« intenses » bombardements israéliens sur le territoire palestinien et avait diffusé une courte vidéo montrant des frappes sur la ville de Gaza. Un texte posthume que le journaliste avait écrit en avril en cas de décès a été publié sur son compte ce lundi 11 août au matin, où il appelle à « ne pas oublier Gaza ».
En juillet, le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) avait accusé l’armée israélienne de mener « une campagne de diffamation » envers le journaliste en le présentant dans des messages en ligne comme un membre du Hamas.
« La tendance d’Israël consistant à qualifier les journalistes de militants sans fournir de preuves crédibles soulève de sérieuses questions sur ses intentions et son respect de la liberté de la presse », a dénoncé Sara Qudah, directrice régionale de l’organisation basée à New York dans la nuit de dimanche à ce lundi. « Les journalistes sont des civils et ne doivent jamais être pris pour cible. Ceux qui sont responsables de ces meurtres doivent rendre des comptes », a-t-elle ajouté dans un communiqué.
• RSF dénonce un « assassinat revendiqué » par Israël
L’organisation de défense de la presse Reporters sans Frontières (RSF) a dénoncé ce lundi 11 août « avec force et colère l’assassinat revendiqué » par l’armée israélienne d’un journaliste de la chaîne Al Jazeera dans la bande de Gaza.
« Anas al-Sharif, l’un des journalistes les plus célèbres de la bande de Gaza, était la voix de la souffrance imposée par Israël aux Palestiniens de Gaza », a estimé l’ONG dans un communiqué transmis à l’AFP, en demandant une « action forte de la communauté internationale pour stopper l’armée israélienne ».
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Selon RSF, « le Conseil de Sécurité des Nations unies doit se réunir d’urgence sur le fondement de la résolution 2222 de 2015 sur la protection des journalistes en période de conflit armé », afin d’éviter « de tels meurtres extrajudiciaires de professionnels de médias ». L’ONG rappelle avoir déposé « quatre plaintes » contre l’armée israélienne « auprès de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre commis contre les journalistes à Gaza ».
Face aux accusations israéliennes, RSF a rétorqué qu’elles avaient été formulées « sans preuves », en reprochant à l’armée israélienne d’avoir « reproduit un procédé connu et déjà éprouvé, notamment contre des journalistes d’Al-Jazeera ». « Le 31 juillet 2024, l’armée israélienne avait tué les reporters Ismail al-Ghoul et Rami al-Rifi dans une frappe ciblée et revendiquée, accusant le premier d’être un terroriste », a fait valoir RSF.
• Conflit de longue date entre Al-Jazeera et Netanyahou
Israël avait déjà décidé en mai 2024 d’interdire la diffusion d’Al-Jazeera dans le pays et d’y fermer ses bureaux, résultat d’un conflit de longue date entre le média et le gouvernement du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui s’est aggravé pendant la guerre en cours dans la bande de Gaza. L’armée israélienne a accusé à plusieurs reprises les journalistes de cette chaîne d’être des « agents terroristes » à Gaza affiliés au Hamas.
En janvier 2024, les journalistes Hamza al-Dahdouh et Moustafa Thuraya avaient été tués dans une frappe sur leur voiture dans le sud du territoire palestinien, alors qu’ils étaient en mission pour la chaîne qatarie. Israël les avait présentés comme « des agents terroristes », accusations rejetées par Al-Jazeera.
Plus généralement, la presse internationale n’est pas autorisée à travailler librement dans le territoire palestinien depuis le début du conflit. Seuls quelques médias, triés sur le volet, y sont entrés embarqués (en « embed ») avec l’armée israélienne, leurs reportages étant soumis à une stricte censure militaire. La presse internationale travaille en s’appuyant sur des journalistes et correspondants locaux, qui ont payé un lourd tribut au conflit.
Benyamin Netanyahou a affirmé dimanche avoir donné l’ordre à l’armée d’autoriser un plus grand nombre de journalistes de la presse internationale à travailler sous son contrôle dans la bande de Gaza. Il n’a cependant pas donné d’autres précisions.