Des manifestants soutiennent Palestine Action à Londres, le 9 août 2025. VUK VALCIC/ZUMA/SIPA
Palestine Action a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines au Royaume-Uni. Ce groupe qui se présente comme un « réseau d’action directe » visant à dénoncer « la complicité britannique » avec l’Etat d’Israël, en particulier sur la question des ventes d’armes, a été interdit en juillet par le gouvernement. Une décision contestée par ses nombreux soutiens, dont 522 ont été arrêtés lors d’une manifestation à Londres samedi, mais aussi par les Nations Unies et l’ONG Amnesty International.
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Palestine Action a été fondée en 2020 par plusieurs militants propalestiniens dont Huda Ammori, qui raconte au quotidien « The Times » s’être sentie frustrée par l’échec des mouvements mainstream pour « déstabiliser le projet sioniste ». Effractions, occupations de bâtiments, façades aspergées de peinture rouge, destructions de matériels, militants qui s’enchaînent à des portes d’usines… Le groupe privilégie l’action directe et les actes de vandalisme, visant notamment des fabricants d’armes liés à Israël mais aussi des bâtiments gouvernementaux, des installations militaires, des banques ou encore des universités. Certaines interventions se soldent par des affrontements avec la police et des militants placés derrière les barreaux. Mais Action Palestine gagne en popularité, notamment après le début de l’opération militaire lancée par Israël dans la bande de Gaza en octobre 2023.
Le groupe est donc déjà dans le viseur des autorités lorsqu’il lance son action la plus controversée le 20 juin dernier, quand des militants s’introduisent par effraction dans la RAF Brize Norton, la plus grande base de la Royal Air Force. Dévalant le tarmac sur des trottinettes électriques, ils aspergent deux avions de peinture rouge, causant des dégâts estimés à sept millions de livres sterling (environ huit millions d’euros) ainsi que « l’une des violations les plus graves de la sécurité de la défense depuis des décennies », selon « The Times ». L’événement déclenche la colère du Premier ministre travailliste Keir Starmer, qui le qualifie de « scandaleux ». Le groupe lui répond en décrivant le Royaume-Uni comme « un participant direct au génocide à Gaza. » « L’armée [britannique] collecte des renseignements, ravitaille des avions de combat et envoie des armes utilisées pour accroître les attaques contre les Palestiniens », assure-t-il.
Début juillet, le gouvernement britannique décide de placer Palestine Action sur la liste des organisations considérées comme « terroristes » au Royaume-Uni, au même titre que l’Etat islamique ou des groupes néonazis avant lui. L’interdiction, validée par le Parlement, est lourde de conséquences pour le groupe, ses militants et ses partisans : il est désormais proscrit d’en être membre ou de lui exprimer son soutien, y compris en portant des vêtements susceptibles de marquer une appartenance ou un appui, sous peine d’importantes peines de prison.
Mais elle déclenche aussi une levée de boucliers au Royaume-Uni : des manifestations de soutien sont organisées à travers le pays par le groupe d’action Defend Our Juries, durant lesquelles des dizaines de personnes sont interpellées. Les images de jeunes gens ou de personnes âgées arrêtées manu militari lors de ces rassemblements souvent pacifiques, tenant simplement des pancartes « Je m’oppose au génocide, je soutiens Palestine Action », ont été de nombreuses fois relayées sur les réseaux sociaux.
« Une attaque contre les libertés fondamentales »
L’affaire dépasse le Royaume-Uni : des experts de l’ONU critiquent la décision de Londres d’interdire le groupe, estimant que « de simples dommages matériels, sans mise en danger de la vie d’autrui, ne sont pas suffisamment graves pour être qualifiés de terrorisme ».
Par la suite, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Volker Türk qualifie de « dérangeante » une telle utilisation d’une loi contre le terrorisme, exhortant Londres à revenir sur sa décision qui « apparaît disproportionnée et pas indispensable. Elle limite les droits de beaucoup de gens engagés aux côtés de Palestine Action et soutenant le mouvement sans commettre eux-mêmes la moindre action répréhensible et exerçant leurs droits à la liberté d’expression, la liberté d’association et de se rassembler pacifiquement », a-t-il déclaré fin juillet dans un communiqué. Il estime que l’interdiction soulève des « préoccupations sérieuses quant à l’application des lois antiterroristes à des actes qui ne relèvent pas du terrorisme », rappelant que, selon les normes internationales, les actes terroristes devraient se limiter à des infractions criminelles visant à causer la mort ou des blessures graves, ou à la prise d’otages, dans le but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement à agir ou à s’abstenir d’agir.
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En amont de la manifestation de soutien prévue samedi, 52 universitaires et écrivains, dont Judith Butler et Angela Davis, ont appelé le gouvernement britannique à revenir sur sa décision. Dans une lettre ouverte publiée mercredi par le « Guardian », ils décrivent l’interdiction de Palestine Action comme « une attaque à la fois contre l’ensemble du mouvement propalestinien et contre les libertés fondamentales d’expression, d’association, de réunion et de manifestation ».
« Informations inquiétantes »
Samedi, un total de 522 partisans de Palestine Action ont été arrêtées au cours de la manifestation londonienne pour « soutien à une organisation interdite ». La police a précisé avoir arrêté toutes les personnes ayant brandi la pancarte « Je m’oppose au génocide, je soutiens Palestine Action ». Selon un représentant de Defend Our Juries, plus de 200 partisans avaient déjà été interpellés en amont du rassemblement, dont trois ont été inculpés jeudi en vertu de la loi antiterroriste pour avoir exprimé leur soutien à Palestine Action, une infraction passible de jusqu’à six mois de prison.
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L’ONG Amnesty International a dénoncé sur X « une violation des obligations internationales du Royaume-Uni de protéger les droits à la liberté d’expression et de réunion ».
Le gouvernement britannique affirme de son côté que les sympathisants de Palestine Action « ne connaissent pas la vraie nature » de ce mouvement. « Ce n’est pas une organisation non violente », a assuré la ministre de l’Intérieur Yvette Cooper, disant disposer d’« informations inquiétantes » sur ses projets.
L’une des fondatrices du groupe, Huda Ammori, a déposé un recours devant la Haute Court de Londres, pour demander le droit de contester la décision du gouvernement. La justice britannique doit examiner ce recours en novembre.