Il est des silences qui ébranlent les fondations des civilisations. Celui qui entoure Gaza depuis des mois en fait partie.
Dès le 7 octobre 2023, nous avons été nombreux à condamner, sans trembler, l’horreur commise par l’attaque terroriste du Hamas : des massacres de civils qui n’épargnèrent même pas les enfants, des femmes violées, des otages arrachés à leurs familles, maltraités, exhibés et humiliés. Nul ne saurait oublier ce que la Cour pénale internationale a qualifié de crimes de guerre. Les images récentes des otages israéliens réduits à l’état de quasi-squelettes disent suffisamment la nature de leurs geôliers.
Mais comment ce crime est-il devenu la justification d’un autre ?
Plus de soixante mille morts, pour la plupart des civils. Des enfants asphyxiés sous les décombres. Des milliers de mutilés. Des hôpitaux ciblés. Des écoles détruites. La quasi-totalité des habitations réduites en poussière.
Et ce mot, à peine prononcé : disproportionné. Depuis des mois, Gaza brûle.
Quartier après quartier, Gaza se vide. Subsiste un silence de pierres et de poussière dans un paysage de dévastation où les ruines semblent orphelines.
Même les lieux de culte sont frappés. L’église catholique de la Sainte-Famille, dernier refuge de centaines de civils, a été touchée le 17 juillet 2025. Le pape Léon XIV a exprimé sa douleur et son indignation. Mais rien n’arrête cette folie. Pas même l’idée qu’un sanctuaire devrait rester inviolable.
Et voilà que, le 7 août 2025, Benyamin Netanyahou annonce vouloir prendre le contrôle de toute la bande de Gaza. Temporairement, nous assure-t-il. Mais comment ne pas douter des motivations à long terme ? En février dernier, à la grande satisfaction de Netanyahou, Donald Trump proposait d’expulser définitivement les Gazaouis de leur territoire et d’y construire un complexe hôtelier.
Est-ce l’aboutissement d’une logique mûrie depuis les premières heures de la guerre ? Dès octobre 2023, quelques jours après le 7 octobre, Benyamin Netanyahou promettait que « Gaza ne serait plus jamais une menace », posant les jalons d’un contrôle militaire renforcé. En novembre, il affirmait qu’Israël garderait « le contrôle sécuritaire sur Gaza pour une durée indéterminée ». En janvier 2024, il parlait déjà de « zones tampons permanentes » au cœur même du territoire. En mars, il refusait catégoriquement toute « gouvernance palestinienne souveraine ». En juillet 2025, il assurait qu’Israël devait « rester à Gaza autant que nécessaire ».
Chaque déclaration, chaque bombardement, chaque mois écoulé a pavé la route vers ce qu’il affirme aujourd’hui ouvertement : la prise de contrôle totale de la bande de Gaza.
Ce n’est plus seulement une guerre « de sécurité » : cela ressemble à un projet de domination totale, d’occupation militaire durable, en rupture totale avec le droit international. L’idée même qu’un chef de gouvernement puisse, en plein XXIᵉ siècle, revendiquer publiquement la mainmise sur un territoire déjà ravagé par les bombes relève d’une fuite en avant inacceptable. Après des mois de bombardements massifs, cette déclaration sonne comme une confirmation : s’agit-il de neutraliser une menace ou d’effacer une population ?
En réalité, le gouvernement israélien, dirigé par un premier ministre allié à l’extrême droite d’où est issu l’assassin d’Yitzhak Rabin, mène une guerre sans borne.
Mais ce n’est plus de défense qu’il s’agit. C’est d’une punition collective prenant la forme d’un anéantissement, où la faim est devenue une arme de guerre.
Que cela soit dit clairement : le Hamas est une organisation terroriste, totalitaire et cynique, prête à sacrifier les siens pour atteindre ses objectifs. Mais le Hamas n’est pas le peuple palestinien. Ce groupe ne représente ni la cause d’un État libre, ni la dignité d’un peuple debout. Il est l’un des fossoyeurs de l’avenir des Palestiniens. Mais que les crimes du Hamas ne servent pas de prétexte à la stratégie criminelle du gouvernement israélien, dont tout observateur honnête ne peut plus douter au vu des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis contre les Gazaouis.
D’ailleurs, en Israël même, des voix s’élèvent face à cette logique mortifère. Des citoyens manifestent. Pour le retour des leurs. Pour la fin de la guerre. Pour les enfants de Gaza aussi. Parce qu’ils savent que la sécurité ne peut pas s’écrire sur des ruines, sur la hiérarchie des douleurs ou sur la négation du droit imprescriptible à la vie de celui qui est autre.
Pendant que le droit international est piétiné, les grandes puissances gardent le silence, quand elles ne soutiennent pas ouvertement le gouvernement israélien. Les mêmes pourtant savaient parler fort pour la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan ou l’Ukraine. Et pendant ce temps, Gaza s’effondre. Le droit international s’efface derrière le tumulte des polémiques. L’humanitaire est étouffé par le cynisme des rapports de force. La propagande, de toute part, devient la vérité à laquelle chaque camp s’accroche pour hurler son droit à détester le camp d’en face.
Et la France ? Jusqu’à très récemment, comme en un renoncement gêné, elle a évité les mots forts et les gestes décisifs. Certes, elle annonce vouloir reconnaître l’État de Palestine en septembre prochain. Ce geste doit être salué. Mais d’ici là, combien de morts ? Combien d’enfants ensevelis ? Combien de familles effacées ? Une reconnaissance diplomatique ne peut pas remplacer l’urgence humanitaire. Ce n’est pas dans six mois, ni dans six ans, que Gaza a besoin de la France.
Notre pays doit contribuer à obtenir des avancées sans délais en posant des actes concrets :
- Œuvrer à la libération immédiate de tous les otages.
- Exiger un cessez-le-feu immédiat et permanent.
- Ouvrir immédiatement, en coordination avec l’Égypte et sous supervision internationale, un couloir humanitaire terrestre par le point de passage de Rafah, pour y faire passer eau, vivres et médicaments, dans le cadre d’une coalition humanitaire européenne initiée par la France pour garantir la sécurité et l’acheminement de l’aide.
- Autoriser l’entrée de journalistes indépendants du monde entier et garantir leur libre circulation pour documenter, alerter et prévenir la désinformation.
- Reconnaître l’État de Palestine comme un droit inaliénable, et non comme une concession.
- Exiger le désarmement du Hamas.
- Garantir la protection de tous les civils, palestiniens comme israéliens.
- Encourager une Autorité palestinienne légitime, capable d’incarner une alternative politique.
- Soutenir l’ouverture d’une enquête internationale sur les crimes commis par toutes les parties.
Chez nous, en France, cette guerre fracture nos rues, nos amitiés, nos familles. Elle divise les consciences. Ravive des haines anciennes, qu’elles soient antiarabes ou antisémites. Refusons les injonctions absurdes à choisir un camp. Pleurer les morts du 7 octobre ne justifie pas l’injustifiable. Nommer les massacres à Gaza ne fait pas de nous des personnes ambiguës.
À mes compatriotes juifs, qui vivent dans l’angoisse de voir leur sécurité menacée. À mes compatriotes arabo-musulmans, qui se sentent chaque jour plus stigmatisés. À toutes celles et ceux qui refusent de voir la République devenir le théâtre d’une guerre importée, je vous le dis : restons ensemble en résistant au poison de la haine.
Demain, nos enfants exigeront des comptes. Et ce jour-là, ce ne seront pas nos discours qui parleront pour nous. Ce seront nos actes. À rebours de l’inaction, du déni et des logiques de haine, soutenons celles et ceux qui, au milieu du fracas des armes, tendent la main plutôt que le poing. C’est là notre camp : celui de celles et de ceux qui affirment que la paix et le respect de l’Autre sont nos horizons.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.