July 29, 2025

ENTRETIEN. Droits de douane : "Cet accord est un suicide collectif, si ça va au bout"… Quelles conséquences pour notre économie ?

l’essentiel
L’accord commercial entre les États-Unis et l’Union européenne, annoncé par Donald Trump, suscite une vive controverse. Hausse des droits de douane, concessions massives sur l’énergie, peu de garanties en retour… Pour l’économiste Eric Berr, ce deal “déséquilibré” affaiblit un peu plus l’Union et risque de coûter cher au marché intérieur européen.

La Dépêche du Midi : L’Union européenne est-elle perdante dans cet accord ?

Eric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux : “C’est comme une capitulation. On cède énormément et on n’obtient presque rien. L’UE accepte des droits de douane à l’export sans contrepartie à l’import. Cela n’a aucun sens. J’ose espérer que certains engagements ne seront pas tenus. Déjà qu’il y a un sous-investissement massif au sein de l’Union, cet accord financera la croissance américaine au prix de l’austérité en Europe. Sans parler des 750 milliards d’achats d’énergie européenne, qui contredisent tous les objectifs écologiques. On abandonne toute indépendance énergétique.

Donald Trump a-t-il remporté le rapport de force ?

D’un point de vue politique, c’est un désastre. Il n’y avait aucune obligation de faire ces concessions. Face à une posture prédatrice comme celle de Trump, si l’UE se couche dès le premier bras de fer en espérant qu’il fasse des compromis, il ne fera qu’augmenter ses exigences dans le futur.

 

Comment expliquer que l’UE ait accepté un tel accord ?

On en arrive là parce que l’Union européenne n’est pas unie politiquement. Il y a un marché unique, mais les États membres se font concurrence entre eux. Donc, lors d’une menace économique, chacun cherche à sauver ses intérêts. Ursula von der Leyen s’est fait la porte-parole des grandes industries exportatrices, au détriment du marché intérieur.

Quelles seront les conséquences en France et dans les autres pays ?

Avec ces sommes astronomiques en jeu et des droits de douane à 15 %, il va falloir comprimer les coûts de production pour rester concurrentiel, au détriment des travailleurs. Cela veut dire moins de protection sociale, des salaires rognés. On s’enferme dans une logique de stagnation. Il y aura un impact clair sur le pouvoir d’achat. Si le coût du travail et la protection sociale sont réduits, les revenus des ménages vont baisser pour maintenir la compétitivité.

Selon les défenseurs de l’accord, ce dernier a l’avantage de proposer un compromis de taxe pour certains secteurs…

L’objectif semble être d’avoir un accord “pas trop mauvais” pour conserver un marché stable. Mais à quel prix ? L’automobile est peut-être le seul secteur à y gagner un peu, mais surtout pour les voitures européennes destinées au marché américain, notamment celles produites en Allemagne. Pour le reste, c’est dramatique : l’acier et l’aluminium restent taxés entre 25 et 50 %, ils n’entrent presque plus aux États-Unis. La demande intérieure va être asséchée. Von der Leyen n’a montré aucune volonté de défendre un modèle européen souverain. Pourtant, l’UE pourrait négocier d’égal à égal avec d’autres blocs, comme l’Inde et les pays du Sud.

Quelles sont les contreparties pour l’Europe, notamment sur les services que proposent les États-Unis ?

Pour l’instant, aucune. L’UE affiche un excédent commercial vis-à-vis des États-Unis, mais si l’on intègre les services, la balance devient équilibrée. On importe massivement des GAFAM (géants du web), on accepte de pénaliser nos exportations industrielles sans obtenir de compensations sur les services, où l’on est déficitaire.

Les pays européens vont-ils vraiment accepter cet accord ?

Beaucoup de personnalités économiques et politiques ne soutiennent pas ce deal. Il pourrait y avoir un véritable levier d’opposition dans plusieurs pays. Si cet accord est réellement appliqué, on se prépare à vivre des moments très difficiles. C’est une catastrophe économique, sociale, écologique.

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