December 15, 2025

ENTRETIEN. Municipales 2026 : l’insécurité, un enjeu principal ? "Dans les faits, la société est moins violente qu’avant"

l’essentiel
La sécurité, autrefois thème de prédilection de l’extrême droite, est devenue un enjeu central en politique et devrait occuper les débats lors de la campagne des Municipales. Pourtant, paradoxalement, la société n’est pas forcément plus violente et la sécurité n’est pas nécessairement la principale préoccupation des Français, décrypte Jean Viard, sociologue. Entretien.

Le thème de la sécurité s’est imposé comme un sujet majeur sur la scène politique. Tout d’abord, la “sécurité”, c’est très large. Quand on parle de sécurité ou “d’insécurité” en politique, de quoi s’agit-il ?

Le terme ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Actuellement, le débat est occupé par deux thèmes : les violences liées à la drogue et les violences faites aux femmes.

Concernant les violences faites aux femmes, elles sont le reflet d’une crise du patriarcat et d’un nouveau rapport entre les genres qui se met difficilement en place. L’augmentation du sentiment d’insécurité vient aussi du fait qu’il y a davantage de personnes fragiles, les personnes âgées, les femmes, qui ont gagné en autonomie et qui se déplacent dans l’espace public, y compris la nuit. Donc il y a une demande de sécurisation de cet espace pour ces personnes ce qui est normal.

Pour la drogue, je pense que les violences sont exacerbées parce que nous avons une politique inefficace, excessivement restrictive. Nous avons une culture de l’État puissant. Il ne s’agit pas d’une question de santé publique : on compte 2 000 morts par an liés à la drogue, contre 60 000 avec le tabac et 300 000 avec l’alcool. De plus, il y a un côté idéologique dans ce discours, souvent lié à l’immigration, car la drogue vient de l’étranger.

Les sondages placent souvent la sécurité comme la préoccupation majeure des Français, surtout avant une échéance électorale comme les municipales. Est-ce vraiment le cas ?

Ce n’est pas ce que je ressens. Dans les faits, la société est moins violente qu’avant : le nombre de meurtres diminue considérablement. En tête des préoccupations des Français, nous retrouvons la santé, la difficulté à avoir des rendez-vous notamment, et l’inflation, alimentaire surtout.

Cependant, il est vrai que les élus sont de plus en plus confrontés à la violence. Mais c’est une violence dirigée contre les représentants de l’État et des services publics (agressions de maires, d’élus locaux, de pompiers). C’est la contestation d’un État perçu comme à la fois autoritaire et inefficace.

Comment explique-t-on que ce thème, autrefois plutôt saisi par l’extrême droite, soit devenu incontournable pour tous ?

Notre culture collective est marquée par des discours d’extrême droite depuis 50 ans. Ces thèmes populistes ont infusé dans le débat public, d’autant plus que les autres partis n’ont pas su se saisir de thèmes majeurs

Les émeutes de l’été 2023 ont-elles accentué ce sentiment d’insécurité ?

Oui, car cette fois-ci, elles ont “débordé” des banlieues populaires et ont ciblé des zones plus centrales. Cela a aussi rendu visible l’importance structurante des réseaux mafieux liés à la drogue, qui ont envoyé des jeunes cibler des boutiques dans beaux quartiers.

Toutefois, il y a des révoltes régulières des banlieues populaires, à peu près tous les 10-15 ans, avec des dégradations majeures, encore une fois des bâtiments publics, c’est toujours la même opposition. Alors on peut dire que c’est complètement stupide de brûler la bibliothèque de son quartier, bien sûr, mais c’est un message politique.

Donc dans les faits, les chiffres ne démontrent pas une explosion réelle des crimes et des délits ?

Nous vivons dans une société du double proche. C’est-à-dire que nous sommes d’abord liés au monde par le numérique, nos ordinateurs, nos téléphones, la télévision, etc. Et puis à côté, il y a la vie que nous menons dans son quartier. Quand vous vivez dans les Cévennes, que vous regardez les informations à la télé, vous êtes mort de peur. Parce que tous les jours, vous entendez parler de meurtres et de crimes horribles. Même si quand vous sortez dans la rue, il n’y a rien de tout cela, vous êtes persuadés que c’est le cas dans les grandes villes.

D’ailleurs, si vous regardez l’électorat du RN, c’est un électorat périurbain. C’est-à-dire, c’est celui qui ne vit pas dans la ville, mais qui voit la ville à la télé.

source

TAGS: