Admise dans une clinique de Castres pour des maux de ventre, une femme de 66 ans est décédée après trois jours d’angoisse et de douleurs. Accusé d’avoir mal évalué l’urgence, un chirurgien a été jugé pour homicide involontaire neuf ans après les faits.
Le 29 novembre 2016, Françoise arrive aux urgences de la clinique du Sidobre en se tenant le ventre à deux mains. Soixante-six ans, le souffle court, une phrase jetée à son mari comme pour conjurer l’incompréhensible : “J’ai l’impression que je vais exploser… ” Le premier scanner se veut rassurant : rien de grave, dit-on, sinon un fécalome récalcitrant. On lui prescrit des lavements, des laxatifs, encore des lavements. Trois jours durant, la même ordonnance, la même attente, les mêmes douleurs.
Le 1er décembre, faute d’amélioration, la gastro-entérologue de la clinique finit par appeler un chirurgien gastro-entérologue, 74 ans aujourd’hui, alors en activité. Jusqu’ici, noteront les cinq expertises réalisées dans le dossier, la prise en charge n’a rien de critiquable. L’après-midi, la médecin réalise un ASP, un cliché de l’abdomen sans préparation, qui révèle des signes inquiétants, peut-être une occlusion. Toutefois, l’absence de vomissements la pousse à temporiser et elle ne transmet pas immédiatement les résultats.
“On ne va pas en chirurgie comme ça Monsieur”
À 18 heures, le chirurgien entre dans la chambre. La patiente souffre, mais se retient. Lui conclut qu’elle ne “présente pas de signes de souffrance”, promet de repasser le lendemain. Le mari insiste, encore : “Ça fait trois jours qu’elle reçoit la même chose. Il faut prendre des moyens plus radicaux…” Le chirurgien répond : “Ça va le faire. On ne va pas en chirurgie comme ça Monsieur.”
Pourtant, en consultant le scanner, il note déjà ce que les experts qualifieront plus tard de signaux clairs d’occlusion : un abdomen rempli de liquide “jusqu’au foie” et une obstruction nette au niveau du côlon. Il décide néanmoins de ne pas opérer. La nuit du 1er au 2 décembre devient un long couloir d’angoisse. Vers 2 heures, elle vomit du sang. Son état s’effondre. Le médecin urgentiste, inquiet, pose une sonde gastrique, administre calmants et antalgiques. Il voit désormais l’occlusion comme une évidence. “À ce moment-là, l’état d’urgence était posé”, dira plus tard l’avocat de la partie civile.
Il appelle la gastro-entérologue, qui lui demande de joindre le chirurgien. À 3 heures, la discussion téléphonique est glaciale : selon l’urgentiste, le chirurgien rejette l’idée d’une occlusion, assure avoir relu l’ancien scanner et refuse de “réveiller la clinique pour ça”. Le prévenu contestera fermement cette version. Un fait demeure : les analyses sanguines ordonnées en urgence ne seront lues qu’à 7 heures. Entre 4h et 7h, rien ne bouge.
Péritonite généralisée et choc septique
Au petit matin du 2 décembre, l’anesthésiste sonne l’alerte : situation critique. Le chirurgien demande un nouveau scanner et réalise, entre-temps, une chirurgie programmée. Lorsque l’opération tant attendue commence enfin, elle est déjà trop tardive pour inverser le cours des choses. L’acte chirurgical sera décrit comme techniquement irréprochable. Mais en fin d’après-midi, le corps de Françoise, emporté par une péritonite généralisée et un choc septique, s’arrête. Pour l’avocat de la famille, le diagnostic d’occlusion “pouvait et devait être posé dès le 1er décembre au soir”.
Face à cette charge, l’avocate de la défense tente de replacer le drame dans son contexte médical :
“Décider d’un geste chirurgical, ce n’est pas rien : mon client devait agir avec les informations limitées qu’il avait.” Elle appelle le tribunal à la prudence : “On décortique les minutes et les heures comme si on ouvrait une montre : mais la réalité médicale n’est pas une mécanique parfaite.” Pour elle, l’affaire dépasse la simple faute : “Ce n’est pas un procès d’assurance : c’est un drame humain, une chaîne d’erreurs. J’ai une immense peine pour la famille de la défunte, mais je refuse qu’on charge un médecin au point de briser une carrière pour une tragédie qui dépasse un seul homme.”
Le procureur, lui, s’en remet à la solidité des expertises : “L’occlusion crée un risque d’une particulière gravité. Cela peut être ignoré d’un profane, mais pas d’un chirurgien expérimenté. Nous sommes sur une faute caractérisée.” Le praticien, lui, s’accroche à ces mots : “Je pense à cette patiente tous les jours. Dire que je n’ai pas de remords, c’est me faire mentir.” La décision sera rendue le 6 janvier 2026.

