A l’heure du vote de la loi de finances 2026, la France s’apprête à réduire l’un de ses leviers les plus efficaces de solidarité et de stabilité mondiale : l’aide publique au développement (APD). Cette aide finançant des programmes de santé, d’éducation et de lutte contre la pauvreté dans les pays les plus vulnérables, pourrait voir son budget divisé par deux par rapport à 2024.
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Evaluée, transparente et efficace, l’APD fait partie des rares politiques publiques dont les effets se mesurent en vies sauvées, en accès à la scolarisation, en systèmes de santé renforcés. Dans un monde d’interdépendances, ces coupes ne sont pas un « ajustement ». C’est un choix lourd de conséquences humaines, sanitaires et stratégiques. La réduire, c’est affaiblir ce qui nous protège collectivement.
En Europe, certains pays ont déjà restreint leur soutien à l’aide internationale. Une dynamique qui fait écho, bien que motivée différemment, aux coupes décidées par les Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump. Mais d’autres pays, comme l’Espagne, l’Irlande ou la Norvège, ont fait un choix différent : celui d’assumer une solidarité internationale ambitieuse. Nous appelons donc, au-delà des clivages, à préserver une politique fondée sur les preuves, qui sauve des vies, préserve notre sécurité et renforce l’influence de la France.
Fraternité : la solidarité en actes
Aider un enfant à être vacciné, permettre à une mère d’accéder à des soins, financer des programmes d’éducation en école primaire : ce n’est pas de la théorie. C’est la fraternité républicaine traduite en action. La France s’est engagée à consacrer 0,7 % de son Revenu national brut à l’APD. En 2025, nous serons à 0,43 %, bien loin de l’objectif. La trajectoire 2026 nous en éloigne encore.
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A elle seule, la contribution française à Gavi (l’Alliance du Vaccin) et au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme permet de sauver environ 710 000 vies chaque année. A travers le Partenariat mondial pour l’éducation, l’APD permet chaque année de former 48 000 professeurs et d’accompagner 7,5 millions d’enfants vers une meilleure éducation. Couper l’APD, c’est accepter des reculs évitables. Et mettre en péril une politique fondée sur l’impact, qui change concrètement des trajectoires de vie.
Sécurité : prévenir coûte moins que réparer
La crise sanitaire liée au Covid-19 l’a montré : ce qui commence « là-bas » finit toujours par frapper « ici ». L’APD finance les systèmes de santé, les laboratoires, les chaînes logistiques de vaccins, la surveillance des épidémies. Gavi prévoit de répondre à 150 épidémies entre 2026 et 2030. Couper maintenant, c’est désarmer nos capacités de prévention.
Mais la sécurité ne se limite pas à la santé. L’APD agit sur des accélérateurs de stabilité : accès aux services sociaux de base, à la santé et à l’éducation. Ce sont des conditions et des moteurs du développement économique. De nombreuses études montrent que les programmes les plus efficaces génèrent 20 fois le retour sur investissement. Les économies budgétaires immédiates deviendront les urgences les plus coûteuses de demain.
Une éducation plus forte, c’est moins d’exclusion et de migrations contraintes ; une bonne nutrition, c’est moins de crises humanitaires ; des Etats plus résilients, c’est moins de conflits régionaux.
Influence : un levier stratégique pour la France
Loin d’être un luxe, l’APD est un outil d’influence à long terme. Elle crédibilise la parole de la France dans les enceintes multilatérales, renforce nos alliances et nous permet de défendre nos intérêts dans les débats sur la santé, le climat, la sécurité alimentaire ou l’éducation. Moins de financements pour cette aide, c’est moins de coordination face aux crises, moins de poids dans les décisions internationales et moins d’accès aux coalitions, marchés et négociations clés.
L’APD française se concentre de plus en plus sur l’efficacité : ciblage des plus vulnérables, évaluations indépendantes, indicateurs transparents. Avec la création du Fonds d’innovation pour le développement, présidé par Esther Duflo, la France finance des projets à fort impact, mesure leurs résultats et promeut l’usage des données probantes à l’échelle internationale. Cette stratégie fondée sur les preuves et l’ancrage multilatéral renforce une position de leader intellectuel et opérationnel.
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Mais la baisse généralisée des financements envisagée met en péril cette ambition et notre capacité à jouer ce rôle moteur, au moment même où la France est attendue pour honorer ses engagements internationaux. Ce que nous demandons :
- Au gouvernement : corriger la trajectoire 2026 pour éviter un décrochage historique et tenir nos engagements dans les reconstitutions majeures à venir (Gavi, Fonds mondial, etc.).
- Aux parlementaires : refuser des coupes qui affaiblissent notre solidarité, notre sécurité sanitaire et notre rayonnement international.
- Aux citoyennes et citoyens : rappeler que l’aide publique au développement n’est pas un luxe. C’est un choix stratégique, efficace, fondé sur des résultats.
La France est attendue. Nos partenaires, nos alliés, et celles et ceux qui dépendent de ces politiques savent que l’APD française peut contenir une épidémie, faire tenir un système éducatif, éviter des drames. Ne coupons pas ce qui soigne. Ce qui protège. Ce qui nous lie au monde. Préserver l’APD, c’est rester fidèle à la fraternité, lucide sur la sécurité, et ambitieux pour l’influence de la France.
Signataires
- Romain Barbe, directeur et cofondateur de Mieux Donner
- Patrick Bertrand, directeur exécutif et fondateur, Action Santé Mondiale
- Cyrille Isaac-Sibille, député (MoDem), membre de la commission des affaires sociales
- Guillaume Gouffier Valente, député (Renaissance), membre de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Sophie Briante Guillemont, sénatrice (Alliance solidaire des Français de l’étranger), membre de la Commission des lois
- Mélanie Vogel, sénatrice (Ecologiste), ancienne coprésidente des Verts européens, membre de la commission des lois
- Anne-Cécile Violland, députée (Horizons), membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- Patrice Joly, sénateur (Parti socialiste), membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
- Guillaume Gontard, sénateur (Ecologiste), président du groupe écologiste au Sénat, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
- Marie-Agnès Poussier-Winsback, députée (Horizons), vice-présidente de l’Assemblée nationale, ancienne ministre déléguée à l’économie sociale et solidaire, membre de la commission des affaires économiques
- Hervé Berville, député (Renaissance), ancien secrétaire d’Etat à la Mer, ancien rapporteur du projet de loi sur l’APD, membre de la commission des affaires étrangères
- Céline Hervieu, députée (Parti socialiste), membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
- Virginie Duby-Muller, députée (Les Républicains), membre de la Commission des affaires culturelles et de l’Éducation
- Karim Ben Cheïkh, député (Génération. s), membre de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- Corentin Le Fur, député (Les Républicains), membre de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

