Il était devenu de bon ton ces dernières années, même au sein de la gauche, de fustiger celles et ceux qui continuaient à établir des parallèles avec les années 1930 et considéraient encore que l’arrivée éventuelle de l’extrême droite au pouvoir en France pouvait constituer une menace immédiate et grave pour la démocratie et les libertés.
Il était devenu évident aux yeux de (presque) tous les observateurs que l’extrême droite avait profondément changé. Elle continuait bien sûr à promouvoir une politique très répressive sur les questions de sécurité et demeurait braquée sur les questions de migration, mais il semblait clair désormais qu’elle était prête à jouer le jeu des institutions démocratiques et que le risque d’un basculement dictatorial à court terme avait quasiment disparu. Il n’y avait qu’à voir d’ailleurs tous les efforts qu’elle accomplissait à l’Assemblée nationale pour paraître respectable et propre sur elle.
Il faut espérer que le scénario catastrophe qui est en train de se dérouler aux Etats-Unis, avec le coup d’Etat permanent mis en œuvre par Donald Trump depuis plus de six mois, aura réussi à dessiller celles et ceux qui s’étaient laissé prendre à ces contes de fées. Non seulement l’extrême droite n’a absolument pas changé et menace toujours sans états d’âme la démocratie et les libertés, mais les nouveaux instruments que lui donnent les réseaux sociaux et les technologies de contrôle électronique la rendent potentiellement beaucoup plus efficace et dangereuse qu’il y a un siècle dans le processus d’enterrement de la démocratie. Et cela, même dans un pays, les Etats Unis, où les contre-pouvoirs étaient censés être plus nombreux et puissants que dans la France de la Ve République.
A lire aussi
Chronique
Six mois en dystopie : comment Trump a défiguré les Etats-Unis depuis son retour au pouvoir
Ce souhait que les mésaventures américaines réveillent (enfin) la défiance vis-à-vis de l’extrême droite en France concerne bien sûr au premier chef les dirigeants du « bloc central » et ceux de la droite classique. Pour ne pas être obligés de passer des compromis avec la gauche, ce qui aurait risqué de remettre en cause la sacro-sainte politique de l’offre, ils se sont mis à fricoter de plus en plus ouvertement avec l’extrême droite, cherchant son soutien et reprenant ses idées, contribuant ainsi à la légitimer et à la crédibiliser. Cela avait été particulièrement le cas avec les gouvernements de Michel Barnier et François Bayrou. Plusieurs dirigeants de la droite et du « bloc central » en sont venus même à défendre publiquement l’idée absurde que La France insoumise, avec ses 10 % des voix, représenterait un danger beaucoup plus sérieux pour la démocratie en France que le Rassemblement national…
A lire aussi
Chronique
Aux Etats-Unis, le réveil d’une résistance face à la dérive autoritaire de Trump
Mais cette prise de conscience concerne aussi celles et ceux qui, nombreux, à gauche se sont mis à considérer que plutôt que d’avoir à chercher des compromis avec le « bloc central » pour barrer la route à l’extrême droite, « bloc central » qui n’a certes fait jusqu’ici aucun effort pour rendre de tels compromis possibles, il valait mieux laisser le Rassemblement national exercer le pouvoir. Grâce à ses échecs prévisibles et au fait que les compromissions de l’extrême droite avec le grand capital deviendraient alors évidentes, la gauche pourrait ensuite rebondir et reconquérir l’électorat populaire qui lui fait aujourd’hui défaut. Ce raisonnement était au cœur en particulier du débat de ces derniers jours autour de la censure du gouvernement de Sébastien Lecornu et de la nécessité ou non d’éviter une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale.
A lire aussi
Analyse
Marine Le Pen et Vincent Bolloré : une rencontre qui nourrit encore plus l’idée d’une « union des droites »
L’expérience Trump montre pourtant combien toute stratégie qui s’accommode d’une victoire de l’extrême droite est irresponsable et dangereuse : aujourd’hui comme hier, on sait quand l’extrême droite arrive au pouvoir, mais ensuite on ne sait jamais quand et comment on parviendra enfin à l’obliger à le quitter. En général, il faut attendre longtemps pour que ça se produise parce qu’elle a verrouillé la société et supprimé la démocratie. Entre-temps, les dégâts sont considérables pour le pays concerné et ses habitants. C’est la raison pour laquelle tous les démocrates doivent faire ensemble tout ce qui est humainement possible afin d’empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir… On en est encore loin pour l’instant en France. A droite comme à gauche.
A lire aussi
Reportage
« We love America ! Not Donald Trump » : l’opposition au président américain descend dans la rue… pour sauver l’honneur ?
BIO EXPRESS
Guillaume Duval, coprésident du club Maison commune et ex-rédacteur en chef d’« Alternatives économiques », a été speechwriter de Josep Borrell, ancien haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité et vice-président de la Commission.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.