Après avoir réuni les partis à l’Elysée – sauf RN et LFI – pour une rencontre qui a consterné et inquiété les oppositions, le Président a décidé de miser une nouvelle fois sur le « socle commun » en renommant Premier ministre, hier à 22 heures, Sébastien Lecornu, son « moine-soldat » qui avait démissionné du poste lundi.
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », aurait dit Albert Einstein. En renommant Premier ministre hier à 22 heures Sébastien Lecornu, son « moine-soldat » qui avait démissionné lundi, Emmanuel Macron semble vouloir mettre à l’épreuve le constat du prix Nobel de physique en s’entêtant à refaire ce qui a échoué trois fois, à savoir nommer un Premier ministre issu d’un « socle commun » très cabossé et à peine rafistolé, composé de Renaissance, du MoDem, d’Horizons et des Républicains.
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Ainsi après le LR Michel Barnier censuré en décembre 2024 – une première depuis 1962 – après le centriste François Bayrou – qui n’a pas réussi à obtenir la confiance de l’Assemblée nationale le 8 septembre –, après Sébastien Lecornu, dont le gouvernement a tenu 14 heures avant qu’il ne démissionne, le président de la République reste sur la même ligne, persuadé d’avoir raison contre tous…
Cette re-nomination de Sébastien Lecornu était dans les tuyaux dès hier matin, mais la bronca qu’elle suscite alors chez les macronistes semble l’éloigner pour cette longue journée politique qui commence. Car le chef de l’État a invité – à 2 heures du matin – les chefs des partis politiques et des groupes parlementaires de l’Assemblée pour une réunion à l’Elysée. À 14 h 30, tous se retrouvent – sauf ceux du RN et de LFI. Emmanuel Macron leur demandera s’ils veulent éviter ou non une dissolution, s’ils sont prêts à travailler ensemble et trouver des compromis.
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Un bougé sur les retraites ?
Des compromis, le chef de l’État semble, lui, peu disposé à en faire. Hormis un nébuleux bougé sur le « décalage » de l’application de la réforme des retraites – là où la gauche et les syndicats réclament suspension ou abrogation – Emmanuel Macron n’a, en effet rien concédé, rien lâché, rien changé dans sa vision de la situation politique catastrophique dans laquelle sa dissolution de 2024 a plongé le pays.
Alors que ses propres anciens Premiers ministres le lâchent de façon cinglante – Edouard Philippe appelle à sa démission, Gabriel Attal ne comprend plus ses décisions – ou le poussent à abandonner le totem de la réforme des retraites – Elisabeth Borne – pour trouver le fameux « chemin » du compromis, Emmanuel Macron s’obstine à considérer que la crise n’est qu’à l’Assemblée et que seuls les 210 députés du « socle commun » ont vocation à gouverner – alors même que Bruno Retailleau lui a dit que le « socle » était mort dimanche soir.
Qu’importe. Impossible pour Emmanuel Macron de considérer que la gauche, pourtant arrivée en tête lors des législatives de 2024, pourrait tenter de gouverner.
Les oppositions sidérées
À la sortie de la réunion de deux heures à huis clos, sans rien avoir obtenu de concret, les oppositions ne cachent pas leur sidération, leur consternation et leur inquiétude, tandis qu’Edouard Philippe, Marc Fesneau et Gabriel Attal, tout seul, quittent la cour de l’Elysée sans un mot. L’écologiste Marine Tondelier, le communiste Fabien Roussel et le socialiste Olivier Faure s’expriment devant la presse.
Le Président n’a apporté « aucune réponse claire » sur les retraites ou le pouvoir d’achat, a déploré le premier secrétaire du Parti socialiste, refusant de donner une « garantie de non-censure » au futur exécutif, qui était pourtant le principal enjeu de la réunion. « Tout ça va très mal se terminer » avec une possible « dissolution » de l’Assemblée nationale, lance Marine Tondelier, « sidérée ».
Depuis le congrès des sapeurs-pompiers organisé au Mans, Marine Le Pen dénonce « une réunion de marchands de tapis ». Le matin, Jean-Luc Mélenchon martelait que « seule une élection présidentielle anticipée permettrait l’expression de la volonté du peuple. »
À ce moment-là en fin d’après-midi, on attend la nomination d’un Premier ministre, non issu de la gauche, avant 20 heures, pour accrocher les JT. Quelques heures de supplice à attendre pour les chaînes d’information en continu qui égrainent alors quelques noms possibles. Mais le brouillard est bien trop épais pour se laisser aller à un pronostic. L’heure avance et chacun peste contre la procrastination du Président. À la surprise générale, un communiqué tombe à 22 h 05 : « le président de la République a nommé M. Sébastien Lecornu Premier ministre, et l’a chargé de former un gouvernement. »
« Mettre un terme à cette crise politique » promet Lecornu
« J’accepte – par devoir – la mission qui m’est confiée par le président de la République de tout faire pour donner un budget à la France pour la fin de l’année et de répondre aux problèmes de la vie quotidienne de nos compatriotes. Il faut mettre un terme à cette crise politique qui exaspère les Français et à cette instabilité mauvaise pour l’image de la France et ses intérêts », réagi le nouveau Premier ministre, assurant que « tous les dossiers évoqués pendant les consultations menées ces derniers jours seront ouverts au débat parlementaire » et précisant que « celles et ceux qui entreront au gouvernement devront s’engager à se déconnecter des ambitions présidentielles pour 2027. »
Démissionnaire lundi, le « moine-soldat » Lecornu est donc à nouveau en selle ce vendredi. Ainsi s’achève une semaine ubuesque, une semaine de psychodrame pour rien. « L’immobilisme est en marche, rien ne l’arrêtera », disait Edgar Faure face aux blocages de la IVe République. Nous y revoilà…