Deux années se sont écoulées depuis le 7 octobre.
Deux années se sont écoulées depuis le 8 octobre.
Deux années de cauchemars, de sidération, de larmes.
Deux années où les nuits n’ont plus de fin, où les mots eux-mêmes semblent s’être brisés sous le fracas des bombes et des cris.
Deux ans d’un monde qui vacille…
Deux ans de regards détournés, d’amitiés fracassées, de dialogues rompus.
Deux ans sous le règne des assignations identitaires : sommés de choisir un camp, de brandir un drapeau, une douleur.
Comme si l’humanité se partageait en parts rivales.
Deux ans d’un débat public asphyxié par la haine, l’essentialisation.
Deux ans où les mots parfois ne servent plus à se comprendre, mais à se défendre.
Où la parole devient arme, le silence refuge, et la peur, terrain commun.
Deux ans pendant lesquels la nuance est perçue comme une trahison.
Deux ans que nous avons été les témoins impuissants d’un peuple palestinien broyé sous les bombes de l’armée israélienne, affamé, condamné à survivre dans les ruines d’une guerre sans fin, dénué d’horizon, privé d’humanité.
Nous avons vu, jour après jour, ces visages d’enfants palestiniens, leurs regards brisés par l’horreur, leurs corps fragiles, nous transpercer le cœur, nous rappeler l’indicible injustice qui s’abat sur eux.
Deux ans que nous sommes hantées par les images du massacre terroriste du 7-Octobre, par le sort des otages dans les tunnels du Hamas et de ces vies brisées.
Nous avons vu aussi la société israélienne se figer sous le poids du traumatisme, enfermée dans la peur, la douleur et l’attente déchirante. Conduite vers l’abîme par un gouvernement criminel qui prétend parler en son nom.
Nous avons vu la haine se nourrir d’elle-même, ici et là-bas, dans un terrible miroir.
Nous avons dû supporter notre impuissance face à l’horreur. Face à un monde qui semble s’effondrer sous nos yeux sidérés.
Nous avons vu resurgir, avec une brutalité insoutenable, l’antisémitisme, le racisme, l’islamophobie.
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Depuis deux ans, on nous insulte, on nous menace, on tente de faire taire nos voix.
Nous aurions trahi.
Trahi un camp, trahi une cause, trahi jusqu’à notre d’appartenance.
Au moment où cette appartenance était plus douloureuse que jamais.
Car de partout et de chaque côté des monstres parlaient en notre nom…
Aux yeux des uns, nous serions les idiots utiles du Hamas ; aux yeux des autres, les complices de Netanyahou.
Trop tièdes pour les uns, trop ardents pour les autres.
Mais c’est précisément parce que cette parole qui échappe aux logiques de guerre dérange.
Parce qu’elle refuse les simplifications meurtrières et rappelle que la vérité et la justice sont indéfectiblement liées à la reconnaissance de l’humanité de chacun et de tous.
Parce qu’elle échappe aux camps, aux meutes, parce qu’elle fissure les récits binaires dans lesquels nous devons refuser de nous laisser enfermer.
Parce que nos engagements prennent racine dans le réel, aux côtés de celles et ceux qui vivent au cœur du chaos, et qui nous rappellent sans cesse à notre responsabilité, à la fois individuelle et collective.
Les Palestiniens et les Israéliens n’ont jamais été pour nous des symboles à brandir, ni des supports à nos fantasmes ou à nos colères.
Ils ont des visages, des voix, des histoires, des rêves.
Ils sont nos amis, nos familles, nos proches.
Ils sont nos partenaires.
Ils sont nos phares, quand, même au cœur de la nuit, les combattants de la paix continuent d’éclairer le chemin.
Et c’est au nom de leur courage que nous tenons debout et que nous refusons avec eux de sacrifier notre humanité sur l’autel de la haine.
Car, au cœur de ce chaos, beaucoup tiennent, résistent.
Et nous tenons avec eux, solidaires, sur deux fronts :
Celui du refus de la haine ici, et de la défense de la paix là-bas.
Au bout du chemin, il n’y a pas de victoire possible sans la justice, la dignité, la sécurité, l’indépendance pour chacun des peuples.
Nous refusons d’abandonner le monde aux pèlerins des ténèbres, à ceux qui appellent « résistance » le massacre de civils, ou « légitime défense » un crime contre l’humanité.
C’est au nom d’une même éthique que nous refusons cette chute dans l’abîme.
Car déshumaniser l’autre, c’est toujours renoncer à sa propre humanité.
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Oui, la chute morale imposée par le gouvernement d’extrême droite messianique de Netanyahou est aussi une blessure pour Israël lui-même.
Et oui, l’Etat palestinien doit voir le jour parce que la justice doit enfin finir par trouver son chemin. Parce que les Palestiniens méritent comme tous les peuples du monde de vivre dans le droit, la liberté et la souveraineté.
L’histoire jugera les assassins d’aube, ceux qui ont enterré Oslo, qu’ils s’appellent Netanyahou ou qu’ils se réclament du Hamas.
Alors, deux ans après, nous voulons dire : notre douleur et nos luttes, ne seront pas vaines.
Nous les transformerons en souffle, en mouvement, en lumière.
Nous avons continué, malgré tout, à partager, à nous écouter, à pleurer ensemble, à danser ensemble. A nous souhaiter bonnes fêtes, à transformer des « Shana Tova » ou « Aïd Moubarak » en actes de résistance douce, comme une manière de se dire : nous continuons de nous aimer. Ils ne gagneront pas.
Rester amis est devenu un acte de résistance.
Continuer à croire en la paix, un courage, un choix obstiné.
Nous avons maintenu vivante la seule voie possible : celle de la solidarité, de la dignité, de la clarté morale.
Celle qui refuse que l’on combatte l’antisémitisme au prix du racisme, ou qu’on tolère des antisémites dans les rangs antiracistes.
Celle qui refusera toujours que l’on sacrifie l’un au nom de l’autre.
Celle qui refuse la déshumanisation et l’essentialisation sous toutes ses formes.
Celle qui, au milieu des ruines, sait encore que des femmes et des hommes peuvent se tenir debout, chanter, écrire, aimer, lutter pour la justice sans haïr.
Plus que jamais aux côtés de celles et ceux qui, là-bas, refusent de céder.
Nous savons que cette parole si souvent étouffée est pourtant largement partagée.
Parce qu’elle est vivante, qu’elle s’ancre dans nos convictions profondes, viscérales.
Nous sommes cette troisième voix, celle qui refuse le silence et la résignation.
La seule véritable voie de résistance, face au fascisme qui rôde, grandit et nous menace toutes et tous.
Cette voix, la nôtre, est une révolution.
Et ensemble, unies et unis, nous continuerons de faire front.
Malgré l’horreur d’images indélébiles. Car dans nos consciences meurtries se tiennent à jamais, les cris déchirants de la petite Hind Rajab, le sourire immortel de Shani Louk, et ceux de ces milliers de morts de Gaza assassinés sous les bombes vengeresses.
Nous sommes portés par la force et la résilience de ces militants palestiniens qui malgré l’horreur et les deuils quotidiens, les oppressions et la dévastation continuent de se battre pour bâtir un avenir de liberté et de démocratie pour leur peuple.
Nous nous tenons aussi du côté de ces milliers d’Israéliens qui, chaque semaine, élèvent leurs voix, pour réclamer le départ du fossoyeur d’Israël, tandis que les larmes des familles d’otages coulent sur les pancartes : Bring them home.
Nous sommes solidaires des écrivains, des artistes, des militants qui, malgré la peur, continuent de parler au nom de la vie.
Nous pensons à Ali Abu Awwad, à Vivian Silver, à Reem Alhajajra, à Alon Lee, à Huda Abu Arqoub, à Nava Hefetz… à tous ces bâtisseurs courageux qui n’ont jamais baissé les bras.
Ils sont nos phares, nos forces, nos guides.
Et tant qu’ils se tiennent debout, nous aussi, ici, nous ne lâcherons pas.
Nous refusons la résignation, car la résignation est le nom que prend la mort de notre humanité.
Quand l’impuissance et le désarroi finissent par nous rendre insensibles au monde.
Nous continuerons de lutter sans relâche, parce que rien ne mérite d’être défendue plus que la vie.
Il nous faut maintenant panser nos blessures, réapprendre à nous parler, à nous pardonner, à regarder l’autre sans peur.
Il nous faut regarder en face ce que cette guerre a fait de nous. Ce qu’elle nous a appris de nous. Ce qu’elle a révélé de nous.
Elle a fracturé nos luttes, abîmé nos amitiés, mis à l’épreuve notre capacité à dialoguer, à nous comprendre.
Il est temps de sortir de nos bulles de douleur, de dépasser ensemble nos traumatismes.
Car notre avenir sera commun ou ne sera pas.
Parce que du cœur du chaos, une lumière peut surgir.
Cette lumière c’est celle de la vie, de la résistance, de la solidarité.
Liste des premiers signataires :
Hanna Assouline, fondatrice des Guerrières de la Paix ; Lubna Azabal, comédienne ; Cyriac Auriol, producteur ; Sabrina Azoulay, membre des Guerrières de la Paix et productrice ; Emile Ackermann, rabbin ; Raphaël Assouline ; militant antiraciste ; Veerle Baetens, actrice et réalisatrice ; Céline Bardet, juriste, enquêtrice criminelle internationale et fondatrice de We Are Not Weapons of War (WWoW) ; Charles Berling, acteur et metteur en scène ; Andréa Bescond, réalisatrice ; Anissa Bonnefont, réalisatrice ; Sylvaine Bulle, sociologue ; Ken Bugul, écrivaine, militante féministe et membre des Guerrières de la Paix ; Camille, chanteuse, auteure, compositrice ; Asma Cherki, consultante et membre des Guerrières de la Paix ; Carine Delahaie, porte-parole de Femmes solidaires ; Halima Delimi, militante aux Guerrieres de la Paix Suisse ; Jeff El-Eini, acteur et metteur en scène ; Clémence Elazem, attachée de presse et membre des Guerrières de la Paix ; Mustapha El Miri, sociologue ; Diana Elbaum, productrice ; Laetitia Eiddo, comédienne ; Jeff El-Eini, acteur et metteur en scène ; Nadia El Fani, cinéaste ; Marine Elgrichi, entrepreneuse et secrétaire générale des Guerrières de la Paix ; Mustapha El Miri, sociologue ; Kamal Hachkar, cinéaste ; Sacha Halgand, chargé de projet Salam, Shalom, Salut et membre du bureau national de SOS Racisme ; Latefa Harrare, comédienne ; Marina Foïs, comédienne ; Nicole Gillet, déléguée générale Fiff Namur ; Kyra Ghedhab, présidente de SOS Racisme 93 ; Farida Gueroult, militante des Guerrières de la Paix ; Soumaya Naamane Guessous, sociologue ; Edgar Laloum, vice-président de l’AJMF, co-fondateur de Sababa ; Kadija Leclere, directrice de casting ; Fadila Leturcq, trésorière des Guerrières de la Paix ; Fatym Layachi, membre des Guerrières de la Paix et metteur en scène ; Edgar Laloum, vice-président de l’AJMF (Amitié judéo-musulmane de France), cofondateur de Sababa ; Rachel Lefèvre, juriste et militante antiraciste ; Philippe Marlière, politologue ; Grégory Marouzé, journaliste cinéma ; Samia Messaoudi, journaliste et militante antiraciste ; Romain Montbeyre-Soussand, chargé de projet Salam ; Shalom, Salut et membre du bureau national de SOS Racisme ; Stéphanie Murat, réalisatrice ; Soukaïna Oufkir, auteur, compositeur, interprète ; Wajdi Mouawad, dramaturge ; Anabella Nezri, réalisatrice ; Mariane Pearl, journaliste et écrivaine ; Vladimir Perisic, cinéaste ; Anne Rayet, avocate ; Bouchra Rejani, productrice ; Mehra Rimer, fondatrice de Beit of Hope ; Sonia Rolland, réalisatrice et productrice ; Laura Sahin, journaliste et réalisatrice ; Colombe Schneck, réalisatrice et écrivaine ; Nawelle Senad, journaliste, réalisatrice et responsable de la section Sud des Guerrières de la Paix ; Haoues Seniguer, politologue ; Nour-Eddine Skikker, président de Jalons pour la Paix ; David Strosberg, metteur en scène ; Brigitte Stora, sociologue et militante antiraciste ; Carine Tardieu, réalisatrice ; Sonia Terrab, réalisatrice et militante féministe ; Harry Tordjman, producteur ; Sam Touzani, artiste citoyen ; Fadela Vaillant, vice-présidente des Guerrières de la Paix ; Judith Vieille, directrice générale des Guerrières de la Paix ; Elsa Wolinski, journaliste ; Roschdy Zem, comédien et réalisateur.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.