Ils arrivent à plusieurs dans des boutiques et font mine de voler des objets pour occuper le commerçant. Tandis qu’un complice ratisse ce qui se trouve à portée de main à la caisse. De très (très) jeunes voleurs.
Christophe vibrionne rue Cujas. “Cinq de plus ! On est presque soixante !”. Entre effarement et exaltation, le quinqua enchaîne les tête à tête informels devant le pas-de-porte de ses voisins commerçants. Exaltation de ne pas être seul face au phénomène. Effarement face à son ampleur supposée.
Les images sont gravées sur le réseau de télésurveillance de sa boutique Brock’nroll. “Lundi dernier, ils sont arrivés à cinq ou six et se sont précipités au fond du magasin. L’un est resté en retrait au niveau de la caisse”, raconte ce spécialiste du prêt-à-porter, dans la rue depuis deux décennies.
“C’étaient des enfants, c’est le plus triste”
“Cinq garçons et une fille, entre 10 et 15 ans. C’étaient des enfants et c’est ce qui est le plus triste”, soupire Aymeric, son salarié de 33 ans. Ce dernier était seul dans la boutique lors de leur arrivée. Une marque de fabrique. Un mode opératoire. “Ils sont allés direct dans la réserve. Je les ai délogés tout en tentant de conserver un œil sur la caisse”. Il appelle la police, essaie de s’enfermer avec eux dans la boutique. Bousculade. Cris. Les oiseaux s’envolent.
C’est ce scénario, avec quelques variantes, auquel sont confrontés la soixantaine de commerçants recensés par Christophe au cours des derniers mois, quartier de la Bourse, dans l’hypercentre de Toulouse.
Un groupe Whatsapp de commerçants
Lundi de Pentecôte, Antoine gérait seul “Les Saisons du Thé”. Même technique. “Ils sont repartis avec les 200 euros de la caisse”, constate Vincent, son patron. “La semaine précédente, on avait vu des gamins dans la rue. On n’a pas imaginé qu’ils faisaient des repérages. Ils savaient où on rangeait la clé. On a signalé le problème à Allo Toulouse. La police municipale a fait des rondes…”.

Depuis un an et demi environ, les commerçants du quartier partagent les photos de leurs voleurs sur un groupe Whatsapp privé. Ces derniers temps, les mêmes visages poupins apparaissent. À la pizzeria Iris, rue Peyrolières, on les a aperçus de près, à plusieurs reprises. “On est fermés entre 15 et 18 heures et ils ont agi à ce moment-là”, confient les patrons, deux cousins d’une trentaine d’années. “Ils ont cassé une vitre, volé un portable et le fonds de caisse”.
“J’ai géolocalisé mon portable aux Arènes”
Car c’est une constante : ces jeunes voleurs ciblent argent, ordinateurs et téléphones. “J’ai géolocalisé le mien aux Arènes mais je me suis retrouvé devant la barre d’immeubles en face du métro. Je n’allais pas frapper à chaque porte”, soupire l’un des pizzaïolos. Sur la vidéo surveillance du restaurant Yujo Ramen, rue Gambetta, on distingue un très jeune garçon passer une tête et voler le portable posé sur le comptoir près de la caisse. “Et pourtant, le personnel était en train de nettoyer le comptoir. Ils rôdent, ils sont opportunistes…”, témoigne Guillaume, le cofondateur de l’enseigne.
“Ce sont rarement de gros préjudices mais le climat est pesant”, peste un commerçant qui préfère rester anonyme. Pas de violences, pas d’arme, de très (très) jeunes auteurs. Ajoutez à cela que les commerçants ne déposent pas systématiquement plainte (par lassitude ?), hormis pour les vols effrac, et le cocktail de l’impunité prospère. D’autant qu’avant 13 ans, pas de garde à vue. C’est la loi.
“L’un de mes collègues en avait attrapé un, avant de le remettre aux autorités, mais le temps qu’il aille déposer plainte, le gamin avait déjà été libéré”, assure Christophe, qui poursuit son œuvre informelle de recensement.
“On les a un peu cadrés”
Sa voisine d’en face a pris le taureau par les cornes. “Un de mes clients croisé à la braderie a des contacts. Nous avons alerté le maire de Toulouse en personne sur ce phénomène”, glisse Marie de la bagagerie urbaine Combo. “JB”, lui, tient le surplus militaire Hector de la rue de la Bourse. “Ils sont venus à plusieurs reprises, on les a un peu cadrés”, rigole-t-il. Tout en glissant. “On réfléchit entre commerçants à engager une société de sécurité privée”.
“Ils sont déscolarisés, ils traînent en ville… Ils sont dans l’impunité du fait de leur âge, mais il faut que ça s’arrête”, tranche une victime de leurs méfaits.