Le président nigérien Mohamed Bazoum au palais présidentiel de Niamey, au Niger, le 2 mai 2022. ISSOUF SANOGO / AFP
« Bouclier humain » : le président nigérien Mohamed Bazoum et son épouse Hadiza sont détenus depuis près de deux ans jour pour jour par les militaires qui l’ont renversé, une stratégie de la junte pour empêcher une intervention étrangère, selon son entourage.
Inquiets pour le couple, cloîtré selon eux dans deux pièces sans fenêtres, sans sorties ni visites sauf médecin, ses avocats disent avoir épuisé tous les recours et comptent sur une mobilisation politique ou des médiations de pays étrangers. Quatre questions sur la détention du président élu en 2021 qui n’a jamais démissionné.
• Quelles sont ses conditions de détention ?
Mercredi 26 juillet 2023, jour de coup d’Etat militaire : l’accès au palais présidentiel est bloqué dans la matinée par la garde du chef de l’Etat. Mohamed Bazoum et sa femme Hadiza, 65 ans et 57 ans, sont à l’intérieur. Le soir, des militaires annoncent à la télévision avoir renversé le pouvoir en place. Le couple est enfermé dans une aile du palais, qu’il n’a jamais quittée depuis.
Deux ans après, « les conditions de détention de Mohamed Bazoum et son épouse n’ont pas changé », affirme à l’AFP une source proche du président déchu. « Ils sont toujours dans deux pièces sans fenêtre, sans accès à l’extérieur et sans recevoir de visite », hormis celle d’un médecin une fois par semaine, indique-t-elle. Leurs activités : des livres, apportés par le médecin, et un vélo d’appartement.
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L’un des avocats de Mohamed Bazoum, l’Américain Reed Brody, était en contact avec lui jusqu’en octobre 2023, date à laquelle son téléphone lui a été retiré. Depuis, le couple Bazoum n’a aucun lien avec l’extérieur, ni accès à internet ou à la télévision. Le couple souffre de « troubles du sommeil », mais « ils vont bien, ils ont le moral », assure Reed Brody. Leur fils Salem, 23 ans, a été détenu avec eux puis libéré début 2024. Selon l’avocat, la junte a proposé à l’épouse de Mohamed Bazoum de sortir, ce qu’elle a refusé.
• Pourquoi est-il prisonnier depuis deux ans ?
Mohamed et Hadiza Bazoum « vivent dans le même bâtiment que le général Abdourahamane Tiani », le chef de la junte, précise l’avocat Reed Brody, qui comme plusieurs autres sources soupçonne le chef de la junte d’utiliser le président déchu comme « bouclier humain ».
Peu après le coup d’Etat, des pays de la sous-région réunis dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avaient envisagé une intervention militaire au Niger, pour obtenir la libération de Mohamed Bazoum et le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Détenir le président déchu, « c’est une police d’assurance contre un bombardement du palais par exemple », avance Me Brody.
Une autre source proche de Mohamed Bazoum rappelle qu’il n’a jamais démissionné : « Il a des convictions, des valeurs, c’est quelqu’un qui croit à la démocratie, démissionner c’est trahir son serment », dit-elle.
« Le cas Bazoum est une situation exceptionnelle », note Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel. Il rappelle toutefois que le président Amani Diori, renversé en 1974, avait été détenu pendant 13 ans. Mercredi, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a une nouvelle fois appelé à la libération de Mohamed Bazoum.
• Qu’en est-il de la justice ?
La junte avait annoncé en août 2023 qu’elle comptait poursuivre Mohamed Bazoum pour « complot d’atteinte à la sécurité et l’autorité de l’Etat » et « crime de trahison », ce dernier chef d’accusation étant passible de peine de mort selon ses avocats. Mais à ce jour, le président renversé ne fait l’objet d’aucune procédure judiciaire au Niger, affirme Me Brody.
Toutefois, en 2024, la junte a fait lever son immunité, via une instance judiciaire qu’il a lui-même créée. Une enquête préliminaire avait été ouverte, lors de laquelle Mohamed Bazoum avait été interrogé, sans suite, affirme une source judiciaire proche du président déchu.
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Pour Me Brody, les dirigeants du régime « ne veulent pas entamer une vraie procédure judiciaire car cela impliquerait un transfert du président en prison ». « Nous sommes convaincus qu’ils veulent le garder près du général », explique l’avocat. Après la levée de l’immunité de Mohamed Bazoum, ses avocats ont demandé en vain sa libération d’office, rappelle la source judiciaire.
• Que fait la communauté internationale ?
Les avocats du président renversé ont lancé plusieurs procédures auprès d’instances internationales, notamment devant la Cour de justice de la Cedeao – organisation que le Niger a quittée – et l’ONU, qui ont toutes deux jugé sa détention « arbitraire » et exigé sa libération.
« On a gagné sur toute la ligne » mais « les voies juridiques sont épuisées », regrette l’avocat Brody, qui compte désormais sur la mobilisation politique.
Selon plusieurs sources, la détention de Mohamed Bazoum pourrait servir à la junte de levier de négociation avec d’autres pays. Pour une des sources proches du président déchu et l’analyste Seidik Abba, des négociations sont en cours depuis plusieurs mois entre le Qatar et le Niger pour la libération de Mohamed Bazoum. Début 2024, c’est une médiation du Togo qui avait permis la libération du fils du couple Bazoum.