L’ancien commissaire européen Thierry Breton au salon Vivatech, le 14 juin 2025 à Paris. ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
Un « vent de maccarthysme ». C’est ce qu’a dénoncé sur X l’ancien commissaire européen Thierry Breton à l’annonce de son interdiction de séjour aux Etats-Unis, qui concerne aussi quatre autres personnalités européennes engagées pour une stricte régulation de la tech et contre la désinformation en ligne, imposée par l’administration Trump. Une sanction à laquelle s’ajoute l’accusation de « censure » au détriment des intérêts américains par le département d’Etat.
Commissaire au Marché intérieur de 2019 à 2024, le Français avait été l’artisan de la directive européenne sur les services numériques (DSA) qui impose aux plateformes des régulations, comme le signalement de contenus problématiques, jugées par les Etats-Unis comme une atteinte à la liberté d’expression.
Dans le collimateur de Trump depuis qu’il est revenu au pouvoir, l’Union européenne a rapidement réagi et condamne fermement des sanctions « injustifiées ». Une réaction partagée par la majeure partie de la classe politique française. « Le Nouvel Obs » fait le point.
• L’Europe dans le collimateur de Trump
Le président américain Donald Trump mène une offensive d’envergure contre les règles de l’Union européenne sur la tech qui imposent aux plateformes des régulations, comme le signalement de contenus problématiques, jugées par les Etats-Unis comme une atteinte à la liberté d’expression.
L’UE dispose, de fait, de l’arsenal juridique le plus puissant au monde pour réguler le numérique. Washington a notamment très mal pris l’amende de 120 millions de dollars infligée par l’UE début décembre à X, le réseau social du milliardaire Elon Musk, décrite par Marco Rubio comme une « attaque contre toutes les plateformes technologiques américaines et le peuple américain par des gouvernements étrangers ».
Pour la diplomatie américaine, la législation européenne confine à la censure. « Depuis trop longtemps, les idéologues européens mènent des actions concertées pour contraindre les plateformes américaines à sanctionner les opinions américaines auxquelles ils s’opposent », a fustigé mardi le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, sur X. « L’administration Trump ne tolérera plus ces actes flagrants de censure extraterritoriale », a-t-il ajouté.
• Thierry Breton dénonce un « vent de maccarthysme »
« Un vent de maccarthysme souffle-t-il à nouveau ? », s’est interrogé le Français dans la nuit de mardi à mercredi sur le réseau social X, en référence à la chasse aux sorcières anticommuniste menée par le sénateur américain Joseph McCarthy dans les années 1950.
« Pour rappel : 90 % du Parlement européen – démocratiquement élu – et les 27 Etats membres à l’unanimité ont voté le DSA », la législation européenne sur le numérique, a-t-il souligné. « A nos amis américains : “La censure n’est pas là où vous le pensez” », a-t-il conclu.
• Des « clarifications » exigées par l’Union européenne
Ce mercredi, la Commission européenne a indiqué avoir « demandé des clarifications aux autorités américaines ». « Si nécessaire, nous répondrons rapidement et de manière décisive pour défendre notre autonomie réglementaire contre des mesures injustifiées », a-t-elle protesté dans un communiqué.
« La France dénonce avec la plus grande fermeté la restriction de visa prise par les Etats-Unis à l’encontre de Thierry Breton, ancien ministre et commissaire européen, et quatre autres personnalités européennes », a déclaré le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, qui a échangé par téléphone avec Thierry Breton. « Les peuples de l’Europe sont libres et souverains et ne sauraient se faire imposer par d’autres les règles s’appliquant à leur espace numérique », a-t-il poursuivi dans un message posté sur X.
De son côté, le ministère espagnol des Affaires étrangères a condamné, mercredi 24 décembre, ces interdictions de séjour, dénonçant « des mesures inacceptables entre partenaires et alliés ». « Le gouvernement espagnol exprime sa solidarité avec l’ancien commissaire européen Thierry Breton et les dirigeants des organisations de la société civile qui luttent contre la désinformation et les discours de haine », a affirmé le ministère espagnol dans un communiqué, jugeant « fondamental pour la démocratie en Europe », de protéger un « espace numérique sûr ».
Berlin a déclaré mercredi que la décision de l’administration Trump était « inacceptable ». « Les interdictions d’entrée imposées par les Etats-Unis, y compris celles visant les présidents de #HateAid, sont inacceptables », a déclaré sur X Johann Wadephul, le ministre allemand des Affaires étrangères.
• La classe politique française condamne cette décision…
Emmanuel Macron et la classe politique française en général ont condamné mercredi la décision de l’administration Trump y voyant une atteinte à la souveraineté européenne.
« Ces mesures relèvent de l’intimidation et de la coercition à l’encontre de la souveraineté numérique européenne », a dénoncé sur X le président français, promettant de continuer à défendre « notre autonomie réglementaire ».
Ce cadre européen, qui « a été adopté démocratiquement », « s’inscrit strictement dans le champ de compétence européen et ne vise aucun pays tiers », a rappelé le ministre de l’Economie, Roland Lescure, sur le réseau Bluesky, concurrent de X.
Plusieurs eurodéputés français sont également montés au créneau. « Nous ne sommes pas une colonie des Etats-Unis ! Nous sommes Européens, nous devons défendre nos lois, nos principes, nos intérêts », a tempêté le social-démocrate Raphaël Glucksmann sur X.
Le leader du parti Renaissance, Gabriel Attal, a interpellé son homologue du Rassemblement national, Jordan Bardella. « Les admirateurs français de Donald Trump trouveront-ils l’énergie de réagir face à une nouvelle remise en cause de notre souveraineté par un pays pourtant allié ? », a-t-il lancé, en référence à la vidéo devenue virale dans laquelle Jordan Bardella se demandait où le président américain trouvait « toute cette énergie ».
•… sauf quelques voix du RN
Au Rassemblement national justement, parti au discours anti-UE et peu critique de la politique de Donald Trump, les avis étaient partagés.
« L’administration Trump non seulement se trompe sur le fond, mais se trompe sur l’image qu’elle renvoie des Etats-Unis au monde entier », a ainsi critiqué son vice-président, Sébastien Chenu, sur RTL.
Mais deux eurodéputées RN ont montré de la compréhension vis-à-vis de la décision américaine. « Thierry Breton avait menacé [en 2024] le propriétaire du réseau social de [faire] respecter les réglementations de l’UE. Un visa enlevé un an et demi après, ils ont fait preuve de beaucoup de patience ! », a jugé ainsi Virginie Joron en référence aux différends entre Elon Musk et l’UE. Les Etats-Unis « ne se sacrifieront pas pour un continent sans libertés où l’on annule même des élections », en référence à la présidentielle roumaine de 2024, a renchéri Catherine Griset.

