À Condom (Gers) ou Mazamet (Tarn), plusieurs entreprises dénoncent des impayés liés au redressement du groupe Essor, promoteur pour le chantier de trois bâtiments de France Travail. Des centaines de milliers d’euros bloqués menacent les emplois locaux.
À Condom, sur le chantier du futur bâtiment de France Travail, la colère gronde. Quatre entreprises gersoises (Bâti C Gers, Dieuzaide TP, Rotgé Bâtiment, Cunha et Castera) dénoncent une situation jugée “inacceptable”. Après avoir travaillé des mois sur le chantier, elles n’ont toujours pas été payées. En cause : le redressement judiciaire du groupe Essor dont le marché privé a été confié.
“Nous avons bâti ce bâtiment de nos mains, et aujourd’hui, on risque de tout perdre”, prévient Luca Bergamo, dirigeant de Bâti C Gers, qui se fait le porte-parole des PME touchées par la situation dans le Gers.
Des centaines de milliers d’euros d’impayés
Le projet comportait deux phases : un marché privé confié au groupe Essor, chargé du gros œuvre et un marché public, piloté directement par France Travail, pour les aménagements intérieurs notamment.
Seulement voilà, depuis le 29 juillet 2025 lors du redressement judiciaire d’Essor, les factures liées à la première phase ont été gelées. Les entreprises l’ont appris par courrier. Une situation qui touche également deux autres départements : celui du Tarn et celui de l’Ariège.
Le mandataire judiciaire, lui, ne garantit aucun paiement. Pourtant, les montants en jeu sont colossaux. 55 000 € pour Bâti C Gers, 50 000 € pour Dieuzaide TP, 143 000 € pour Rotgé Bâtiment et 45 000 € pour Cunha et Castera. “À nous quatre, c’est près de 300 000 euros d’impayés. Et derrière, c’est une centaine de familles qui risquent de perdre leur emploi”, résume Jean-Luc Rotgé, dirigeant de Rotgé Bâtiment. Multiplié par trois départements, le préjudice pour toutes les entreprises pourrait frôler le million d’euros.

À Condom, sur le chantier, tout est quasiment achevé ou presque : VRD (réseaux divers), maçonnerie, charpente, couverture, climatisation, doublages, cloisons et plafonds. Mais derrière ce chantier, les factures prennent la poussière.
“Les peintres travaillent sur nos cloisons qui n’ont jamais été réglées”, s’indigne Luca Bergamo. Pour lui, le comble est que France Travail, établissement public, continue la phase 2 “comme si de rien n’était”. “C’est une question d’éthique, ajoute Jean-Luc Rotgé. L’État ne peut pas occuper des bureaux construits sur les cercueils de nos entreprises.”
Un repreneur mais pas de paiement
Deux mois avant la nouvelle année 2026, un nouvel acquéreur privé doit reprendre le bâtiment. Mais, selon les entrepreneurs, l’opération pose question. Le bien qui est estimé 4,8 millions d’euros serait racheté 3,3 millions, soit 1,5 million de moins. Une somme qui correspondrait selon les professionnels “pile aux dettes impayées et aux travaux restants.”

“Ce repreneur fait une excellente affaire, souligne Jean-Luc Rotgé. Et France Travail, au lieu de renégocier les loyers pour solder nos factures, continue à payer le même montant. C’est un jackpot pour l’investisseur, sur le dos des PME.”
Lors d’une réunion, le préfet du Gers a demandé que le bail du repreneur puisse inclure une clause qui garantit le paiement des dettes antérieures. Mais, plusieurs semaines après, rien n’a été fait.
“Ils se réinventent, nous on coule”
Dans un article de La Tribune des Entreprises publié le 15 septembre, la direction du groupe Essor assurait que son redressement judiciaire serait “l’occasion de réinventer le groupe”. Des mots qui passent très mal auprès des PME. “Leur renaissance se fait sur le cadavre de nos entreprises”, lâche Luca Bergamo.
Les entrepreneurs disent ne pas réclamer la charité, mais simplement “une juste redevance” pour leur service.” À ce stade, c’est une question de survie.” Récemment, les entreprises ont interpellé la Fédération française du bâtiment (FFB) ainsi que le député de la deuxième circonscription du Gers, David Taupiac, qui suit le dossier depuis plusieurs semaines. Ils appellent également à une intervention du ministère du Travail pour débloquer la situation et éviter une faillite en chaîne de ces entreprises locales.
De son côté, France Travail indique que l’organisme reste pleinement engagé aux côtés des entreprises concernées. “Nous avons un intérêt totalement aligné avec elles pour trouver une solution ensemble et une solution possible. Nous travaillons en plus avec certaines de ces entreprises dans l’accompagnement de leur recrutement et donc on est très concernés par la situation actuelle”, commente la directrice départementale de France Travail, Hélène Poliart.
Les artisans, eux, tirent la sonnette d’alarme en évoquant notamment un paradoxe qui ne manque pas d’ironie. Car, sous un chantier estampillé France Travail, des salariés pourraient bientôt revenir comme demandeurs d’emploi dans le bâtiment même qu’ils ont construit. “On a tout donné. Maintenant, on veut juste que la République nous regarde en face”, conclut Luca Bergamo.

