Des policiers lors de l’opération à Rio, le 28 octobre 2025. MAURO PIMENTEL / AFP
L’événement a glacé la capitale brésilienne, Rio de Janeiro, à quelques jours du lancement à Belem, en Amazonie, de la COP30 pour le climat. De violents raids menés dans le cadre d’une opération antidrogue mardi 29 octobre ont fait 119 morts selon les autorités, devenant ainsi l’intervention policière la plus meurtrière de l’histoire du Brésil. Le président Lula s’est dit ce mercredi « sidéré » par ce bilan, tandis que des habitants récupéraient des corps, entre sanglots et colère. On fait le point.
• Chaos dans plusieurs favelas mardi
Les raids, qui constituent la plus grande opération policière jamais vue dans la ville, ont mobilisé 2 500 agents contre le Comando Vermelho, principal groupe criminel de Rio, qui opère dans les favelas, ces quartiers populaires densément peuplés. Tirs intenses, barricades, incendies : l’opération s’est concentrée sur deux ensembles de favelas du nord de Rio, Complexo da Penha et Complexo do Alemao, situées à proximité de l’aéroport international.
Les policiers ont mobilisé deux hélicoptères, 32 véhicules blindés et « douze véhicules de démolition » utilisés pour détruire des barricades.
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A l’hôpital Getulio Vargas, d’où l’on entendait les rafales tirées non loin, un défilé ininterrompu de véhicules déposait devant l’entrée des cadavres et des blessés par balles, policiers, délinquants présumés ou simples habitants, a constaté un photographe de l’AFP. A Vila Cruzeiro, une favela du Complexo da Penha, des policiers lourdement armés gardaient une vingtaine de jeunes hommes interpellés. Serrés les uns contre les autres, ils étaient assis par terre la tête baissée, pieds et torse nus.
Une bonne partie de la ville de Rio s’est retrouvée en plein chaos. Des écoles avaient suspendu les cours et les transports publics ont été lourdement perturbés – stratégie courante des gangs lors des affrontements avec la police, « plus de cinquante bus ont été utilisés comme barricades », selon le syndicat des entreprises d’autobus de Rio. Des milliers d’habitants sont restés coincés, incapables de rentrer chez eux. La vie reprenait progressivement mercredi.
• Au moins 119 morts dont 4 policiers
Après avoir annoncé une soixantaine de morts mardi, les autorités de Rio ont évoqué un bilan encore provisoire d’au moins 119 morts : 115 criminels présumés et quatre policiers. Les services du Défenseur public, organe de l’Etat de Rio qui offre une assistance juridique aux plus démunis, ont eux comptabilisé au moins 132 morts.
• Des habitants dénoncent des « exécutions »
Mercredi, des dizaines de dépouilles ont été récupérées par des habitants dans une forêt au sommet de la favela puis disposées près de l’une des principales voies d’accès au Complexo da Penha, ont constaté des journalistes de l’AFP. L’odeur de la mort y était étouffante, ont-ils décrit. Sur les lieux, on pouvait voir le cadavre d’un homme décapité et un autre totalement défiguré. Certains habitants ont dénoncé des « exécutions ». Les corps ont été enveloppés dans des sacs mortuaires et amenés à l’institut médico-légal.
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Au Complexo da Penha, l’horreur le disputait au chagrin. L’Etat de Rio « est venu perpétrer un massacre. Ce n’est pas une opération, ils sont venus directement pour tuer », a crié au micro de l’AFPTV une femme qui sanglotait, main posée sur le visage d’un jeune homme dont le corps a été recouvert d’un drap vert. « Beaucoup d’entre eux ont été tués d’une balle dans la nuque, un tir dans le dos », dit Raull Santiago, activiste qui réside dans le quartier. « On voit des marques de brûlure, des personnes ont été attachées. Certains se sont rendus, mais ont été tués de sang-froid », affirme l’avocat Albino Pereira Neto, qui représente trois familles ayant perdu un de leurs membres.
• Le gouverneur de l’Est de Rio salue « un succès »
L’ampleur de ces raids et leur bilan rappellent la puissance du crime organisé dans le pays autant qu’ils interrogent les méthodes de la police.
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Après plus d’un an d’enquête et avec 113 arrestations, l’intervention a été un « succès », a lancé devant la presse Claudio Castro, gouverneur de droite de l’Etat de Rio. Il a défendu la manière forte et affirmé que les seules « victimes » étaient les policiers tués, réfutant la mort d’innocents.
• Lula « sidéré », le gouvernement fédéral ignorait l’opération
Le président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva s’est au contraire dit « sidéré » par le nombre de morts, a indiqué son ministre de la Justice Ricardo Lewandowski. Selon lui, le gouvernement fédéral de Brasilia n’était pas au courant de l’opération. Il a réuni mercredi plusieurs de ses ministres à Brasilia. Une délégation de son gouvernement est attendue à Rio pour une « réunion d’urgence » avec le gouverneur Castro.
• Des condamnations internationales
De multiples condamnations internationales ont suivi les événements de mardi. Le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme s’est dit « horrifié » et a demandé des « enquêtes rapides ».
Plus de 30 ONG, dont Amnesty International, ont estimé que la ville était plongée « dans un état de terreur » par cette action de la police.
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Jusqu’à présent, l’intervention policière la plus mortelle de l’histoire du Brésil avait eu lieu en 1992, quand 111 détenus avaient été tués dans la répression d’une mutinerie dans une prison à Carandiru, près de Sao Paulo.
« Les arrestations massives ne font qu’accroître l’influence des factions, car elles contrôlent les prisons », analyse pour l’AFP la sociologue Carolina Grillo. Mais ces politiques « ont souvent un impact électoral positif auprès d’une population mal informée ».

