Donald Trump à bord de Air Force One, le 30 octobre 2025. ANDREW HARNIK / GETTY IMAGES VIA AFP
Donald Trump a plongé la scène internationale entre perplexité et inquiétude, en ordonnant ce jeudi 30 octobre la reprise par les Etats-Unis d’essais d’armes nucléaires. Une déclaration floue, qui ouvre plusieurs interprétations : celle d’une reprise des tests nucléaires proprement dits provoquerait un bouleversement mondial.
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Les derniers essais américains datent de septembre 1992, sous la présidence de George Bush dans le cadre d’un programme de recherche. Et depuis, les Etats-Unis sont devenus signataire du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (Tice) et l’explosion d’ogives en constituerait une violation flagrante.
Raison pour laquelle experts comme gouvernements ne comprennent pas ce que le président américain a voulu signifier en annonçant qu’« en raison des programmes d’essais menés par d’autres pays, j’ai demandé au ministère de la Guerre de commencer à tester nos armes nucléaires sur un pied d’égalité ». Dans un deuxième temps, il a développé devant la presse, jugeant que ses grands compétiteurs, Chine et Russie, « font apparemment tous des essais nucléaires », et que « s’ils font des essais, j’imagine qu’on doit en faire ».
Le président russe Vladimir Poutine s’est bien félicité dimanche de l’essai final réussi du missile de croisière Bourevestnik, puis mercredi d’un drone sous-marin Poséidon, compatible avec des charges atomiques. Mais après les déclarations de Trump, Moscou a précisé qu’il s’agissait d’essais d’armes capables de porter une ogive nucléaire, et non de bombes nucléaires elles-mêmes. Les derniers essais nucléaires de Moscou à proprement parlés remontent à 1990. La Chine, dont les derniers essais remontent à 1996, a quant à elle rapidement exhorté Washington à respecter « sérieusement les obligations du traité d’interdiction complète des essais nucléaires », le TICE
Mais qu’a vraiment voulu dire Donald Trump ? Dans son message posté sur Truth social, il a évoqué des essais « sur une base équivalente ». Ni la Maison-Blanche ni le Pentagone n’ont donné plus de précisions. Auprès de l’AFP, plusieurs experts émettent trois hypothèses allant d’une réaction aux récentes innovations militaires russes à l’annonce d’une reprise à venir des essais, qui ferait basculer le monde dans un nouvel âge nucléaire.
Différents types de tests envisageables
« Soit il parle de tester des missiles, mais les Etats-Unis le font déjà, soit il parle des tests dits “sous-critiques”, mais je ne pense pas qu’il maîtrise ce degré technique, soit il parle de vrais essais, mais personne ne le fait à part la Corée du Nord », qui a procédé à six essais nucléaires entre 2006 et 2017, résume Héloïse Fayet, chercheuse sur la dissuasion à l’institut français des relations internationales (IFRI), auprès de l’agence de presse.
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Le timing de cette annonce, après les essais russes, a poussé l’Américain William Alberque, ancien directeur du centre de non-prolifération de l’Otan, à interpréter ses propos comme « une référence aux essais de systèmes, et non aux essais d’ogives ». Mais les Etats-Unis, comme d’autres puissances nucléaires, testent déjà ces armes – les derniers essais américains datent d’il y a quelques semaines.
Une autre hypothèse concerne les petits tests, appelés « sous-critiques », autorisés par le TICE sur lesquels Washington se retreint plus que la Russie ou la Chine, en procédant à des « sous-critiques plus restrictifs, sans aucun dégagement d’énergie, aucune chaleur, aucune réaction critique », explique Héloïse Fayet. Donald Trump pourrait exiger de se mettre à niveau, « mais c’est un sujet extrêmement compliqué et je ne sais pas s’il entre dans ce degré de subtilité », juge-t-elle.
La crainte d’une potentielle escalade
La dernière hypothèse est la plus inquiétante : celle de reprise de tests proprement dits. « Il y a depuis longtemps chez les Trumpistes la volonté de reprendre les essais », rappelle Héloïse Fayet, et ce malgré l’intérêt limité, Washington ayant, comme les autres puissances, un programme de simulation efficace. Cette reprise pourrait poursuivre trois objectifs, selon Daryl Kimball, directeur exécutif de l’Arms Control Association, organisation non-partisane spécialiste de politique d’armement, auprès du « Washington Post » : garantir la crédibilité de la dissuasion, perfectionner son équipement et entretenir son arsenal.
Elle laisse toutefois dubitatif, notamment Gary Samore, principal expert en armes de destruction massive auprès du Conseil de sécurité nationale de l’ancien président Bill Clinton : « Je ne pense pas que les essais soient nécessaires pour garantir la fiabilité de l’arsenal nucléaire américain, ce serait même faire un cadeau à la Russie et à la Chine, qui développent de nouveaux types d’armes nucléaires et tireraient profit de la reprise des essais », a-t-il souligné auprès du « Wall Street Journal ». Une telle décision aurait en effet des conséquences majeures sur le reste du monde, et pourrait provoquer une potentielle escalade : en voyant Washington faire détonner une charge, Moscou et Pékin s’empresseraient de suivre le mouvement.
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L’idée d’une reprise serait d’autant plus complexe que, comme le souligne le « Parisien », la National Nuclear Security Administration, agence fédérale qui supervise les essais, n’est pas en mesure de les reprendre immédiatement et il lui faudrait au moins trois ans pour y parvenir. Surtout que, comme l’ont fait remarquer de nombreux médias américains, ses employés sont en congés forcés en raison du shutdown du gouvernement fédéral.
« Les essais nucléaires ne doivent jamais être permis, sous aucune circonstance »
Pour Héloïse Fayet, « le seul intérêt serait politique, en vue de pousser à une négociation avec les Russes et les Chinois » pour tenter d’obtenir un accord triparti de contrôle des armements, dont l’architecture internationale est moribonde (le dernier accord liant Moscou et Washington, New Start, expire en février). Donald Trump a d’ailleurs fait cette annonce juste avant avec sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping. Une manière de lui mettre la pression ?
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Dans un contexte où la rhétorique nucléaire a fait son retour dans la diplomatie mondiale depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, les Nations Unis ont sévèrement réagi aux propos de Trump : « Le secrétaire général a déclaré de façon répétée que les risques nucléaires actuels sont déjà élevés de façon alarmante et toute action qui pourrait conduire à une erreur de calcul ou à une escalade avec des conséquences catastrophiques doit être évitée », a déclaré Farhan Haq, porte-parole adjoint du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.
« Et comme il l’a dit, nous ne devons pas oublier l’héritage désastreux des plus de 2 000 essais nucléaires menés ces 80 dernières années et que les essais nucléaires ne doivent jamais être permis, sous aucune circonstance », a-t-il ajouté.

