Pour aller plus loin
Nous sommes souvent myopes face aux bouleversements majeurs. Et parce qu’aucune démocratie n’est parfaite, il est toujours difficile de repérer le moment exact où l’une d’elles bascule dans l’autoritarisme. « Cela reste une loi inéluctable de l’histoire : elle défend précisément aux contemporains de reconnaître dès leurs premiers commencements les grands mouvements qui déterminent leur époque », notait l’écrivain Stefan Zweig en racontant dans « le Monde d’hier », peu avant de mettre fin à ses jours en 1942, l’irrésistible ascension à la tête de l’Allemagne d’un grossier personnage que la plupart des gens raisonnables avaient d’abord pris pour un clown.
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Donald Trump, un an après sa réélection : un ego surdimensionné et une doctrine de gangster qui font vaciller l’Amérique
Donald Trump n’est pas Adolf Hitler. N’empêche, un an après sa seconde élection à la Maison-Blanche et neuf mois après son investiture, il faut ouvrir les yeux : l’Amérique a accouché d’un monstre qui se croit tout-puissant, et tout permis. Le dossier que nous publions est hélas accablant.
En multipliant les attaques haineuses contre ses adversaires politiques, qu’il désigne tantôt comme des ennemis personnels et tantôt comme des « ennemis de l’intérieur », voire comme des « terroristes », le 47ᵉ président des Etats-Unis n’est pas si loin de se comporter comme l’a fait Vladimir Poutine en Russie. Et en mettant des antivax au pouvoir, en coupant les crédits des universités, en imposant un suprémacisme blanc et chrétien profondément réactionnaire, sa révolution MAGA (« Make America Great Again ») piétine la science, le savoir et le melting-pot qui ont rendu son pays si riche. C’est le monde à l’envers sur les terres de l’American dream.
Les libertés publiques fondamentales mises à mal
Mais le plus inquiétant, c’est peut-être la manière dont, au pays du « free speech », les libertés publiques fondamentales, pourtant garanties par le premier amendement de la Constitution, sont mises en péril par un satrape qui ne supporte aucun contre-discours. Trump s’en amusait encore, début octobre, en menaçant jusqu’aux plus haut gradés de l’armée américaine : « Si vous voulez applaudir, vous applaudissez. Si vous n’êtes pas d’accord avec ce que je dis, vous pouvez partir, bien sûr, ça jouera contre votre rang et votre carrière. »
Il faut se rendre à l’évidence : en méprisant le Congrès à coups de décrets signés de sa main, en s’en prenant aux juges, en faisant inculper un ex-directeur du FBI, en privant des journalistes de visas, en réclamant la tête des humoristes, en envoyant la garde nationale dans de grandes villes démocrates, Trump piétine tous les contre-pouvoirs jadis admirés par Tocqueville, qui valaient à son pays la réputation de plus grande démocratie de la planète.
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Bien sûr, les Etats-Unis de Trump ne sont pas le IIIᵉ Reich, ni même la Chine de Xi Jinping. Le pluralisme reste de mise et, malgré un redécoupage des circonscriptions électorales visant à les truquer, des élections de mi-mandat auront lieu dans un an. La mutation en cours n’en est pas moins inquiétante, pour les Américains comme pour nous. Car de notre côté de l’Atlantique, le risque de contamination est fort. Ici, un ancien président de la République ose affirmer, lorsqu’il est condamné au terme d’une procédure judiciaire parfaitement légale, que les juges sont guidés par la « haine » et que « toutes les limites de l’Etat de droit ont été violées ».
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Et là, les extrêmes droites européennes pleurent la mort de Charlie Kirk, dont pas grand monde ne connaissait le nom jusqu’à son assassinat, comme si ce héros trumpiste était un des leurs. Louis Aliot, vice-président du Rassemblement national, a même trouvé pertinent d’aller jusqu’à Phoenix, en Arizona, honorer ce militant raciste, antisémite, misogyne et homophobe que certains ont l’indignité de comparer à Martin Luther King. Oui, il faut regarder en face ce que Donald Trump est en train de faire à la démocratie américaine, ne serait-ce que pour nous vacciner, avant qu’il soit trop tard, contre le dangereux virus national-populiste.

